« Ne pas conclure l’accord serait commettre la pire erreur de l’histoire »
John Kerry – Secrétaire d’Etats des Etats Unis.
Mercredi 9 Décembre 2015 – 20h, Laurent Fabius , président de la COP21, prend la parole devant le « Comité de Paris » qui regroupe toutes les délégations et les ministres des 196 états qui travaillent depuis plus d’une semaine sur un projet d’accord. Remarquant que certaines avancées positives sont à souligner, la présidence Française s’inquiète des nombreux points de désaccords encore présents dans le brouillon de 29 pages qui a été présenté un peu plus tôt dans la journée. Avant de laisser la parole aux délégations pour qu’elles s’expriment sur cette nouvelle monture, Laurent Fabius présente la méthode proposée pour permettre la convergence des opinions en moins de 24h. La nuit sera longue afin d’éviter que cette 21e conférence des parties ne ressemble aux 20 premiers échecs qui l’ont précédée.
Ouverture du comité de Paris. De gauche à droite : Christiana Figueres (Secretaire Executive de la CCNUCC), Laurence Tubiana (Cheffe de la délégation Française) et Laurent Fabius (Président de la COP21)
Trois questions prioritaires (la différenciation des responsabilités, les questions de financement et l’ambition de l’accord) restent à régler. (J’ai l’impression d’écrire cette phrase à chaque article). Pour avancer rapidement sur ces points de blocages les délégations vont se réunir en « indaba » sur le modèle des réunions Zoulou d’Afrique du Sud où les parties prenantes peuvent « exprimer ce qui va, ce qui ne va pas et on cherche des solutions ». Ce dispositif est utilisé depuis la COP17 de Durban. En parallèle, les délégations travailleront également sur les autres parties de l’accord. L’objectif est d’aboutir à un accord sur le texte d’ici Jeudi après-midi.
Pour gagner du temps sur les aspects juridiques et linguistiques, la présidence Française propose que les parties du texte qui font aujourd’hui consensus soient transmises aux comités concernés au sein des Nations Unies sans oublier de préciser que :
« Rien n’est agréé tant que tout n’est pas agréé ».
Laurent Fabius
S’en est suivi plus de 3h30 de déclarations individuelles de chaque délégation concernant le brouillon actuel de l’accord et les modifications à apporter. Bah oui, je vous ai dit qu’ils étaient pressés… Au passage, le Timor a annoncé qu’il proposera une candidature de Laurent Fabius pour le prix Nobel de la paix en 2016 en cas de succès des négociations. Il faut remarquer que toutes les négociations n’arrêtent pas de saluer le travail de la délégation Française.
Prochaine réunion prévue à minuit. Nuit blanche en perspective pour toutes les délégations. Heureusement, le bon négociateur a la solution.
Que contient à ce jour le brouillon de l’accord ?
Plus tôt dans la soirée, la Fondation Nicolas Hulot a publié son analyse du texte de 29 pages qui contient encore 366 crochets et 47 options . Pour les plus pressés, voici quelques points clés :
- Cool : Le processus de révision des engagements (INDC) dont on parlait hier est fixé à 5 ans
- Pas Cool : Par contre, la révision de ces engagements n’est pas prévue avant 2020
- Euh ? Toutes les options sont encore sur la table concernant les financements (adaptation et atténuation)
- Pas Cool : La reconnaissance de l’importance du prix du carbone est de moins en moins présente
- Pas Cool : Aucun objectif à long terme concernant la part des renouvelables
- Très Cool : Le texte contient 3 fois plus de SHALL que de SHOULD (voir l’article de Mardi dernier) donc l’accord devrait bien être juridiquement contraignant.
Breaking COP News
Petit tour d’horizon des nouvelles fraîches du jour
On se voit quand ? Option 1 [at 8pm], [as soon as possible], [hour will be reviewed according to science] Option 2 no text #ParleCommeàlaCOP
— M_Orphelin (@Matthieu ORPHELIN)
- Il y a toujours autant d’ambiance à la BNP grâce aux Climate Games :
« Nous avons voulu savoir si, en amont de la conférence de Paris sur le climat, certains chercheurs du monde académique accepteraient d’être rémunérés pour rédiger et signer des rapports susceptibles de servir les intérêts d’industriels des fossiles, explique Ben Stewart, directeur des médias à Greenpeace Royaume-Uni. Et ce, en acceptant de cacher leur financement. »
Résultat ? L’ONG a publié un échange de mail avec William Happer, professeur émérite à l’université de Princeton (New Jersey) qui prouve que le professeur n’a aucun scrupule à bafouer les règles d’éthique et de morale pour des intérêts financiers.
Frank Clemente, professeur émérite à la Penn State University (Pennsylvanie) a aussi fait les frais de ce petit jeu. Il a par exemple proposé d’écrire un article d’une dizaine de pages en échange de 15 000 dollars pour promouvoir les bienfaits du charbon pour l’économie.
Y a-t-il encore des climato-sceptiques ?
Ce scandale remet en cause la crédibilité de l’expertise scientifique. La COP21 qui se déroule sous nos yeux est la conséquence politique de plusieurs dizaines d’années de constructions scientifiques. Ce scandale menace donc le fondement même de nos choix politiques. Longtemps remis en question, le changement climatique est aujourd’hui une évidence rarement contestée. Mais quel combat pour en arriver là ! Par contre, on trouve encore quelques experts qui, à contre-courant de la communauté internationale, réfutent que les activités humaines sont la cause de ce réchauffement. D’autres ne se posent même pas la question et pensent que l’Humanité pourra s’adapter sans contrainte face à ce bouleversement.
Petite introduction vidéo de la pensée climato-sceptique :
Évacuons immédiatement le débat sur la responsabilité humaine du changement climatique. En France, certains climato-sceptiques célèbres comme Vincent Courtillot (Académie des Sciences quand même…) ou Claude Allègre (Ancien ministre de l’éducation…) ont souvent surfé sur cette vague, prétendant que ce réchauffement pouvait être lié à l’activité solaire, le volcanisme ou les changements d’orbite de la Terre. Je vous laisse vous amuser avec ce graphique pour comparer ces différents facteurs.
En 2013, une méta-étude publiée et validée dans les « Environmental Research Letters » a analysé les 12 000 travaux de recherche menés par 29 000 chercheurs sur le changement climatique. Résultat ? 97,1% de ces travaux valident l’hypothèse de la responsabilité humaine vis-à-vis du changement climatique.
Le problème, c’est que ces climato-sceptiques sont surreprésentés dans nos médias et par conséquence dans nos opinions publiques. Entre 2000 et 2010, 20% des experts s’exprimant sur le changement climatique étaient climato-sceptiques alors qu’ils ne représentent que 3% de la communauté scientifique. Cette différence s’explique par le fait que bien souvent, ces scientifiques interviennent pour parler de climat alors qu’ils ne sont pas climatologues…
Depuis le début du processus Onusien de négociation climatique, le climato-scepticisme représente un véritable boulet au pied de la communauté internationale. Par exemple, certains citent le Climategate comme la principale raison de l’échec des négociations de Copenhague. (En réalité, il y en a d’autres comme le boom énergétique de la Chine).
Depuis la fin du XXe siècle, le climato-scepticisme a été alimenté généreusement par certains industriels pétroliers qui n’avaient aucun intérêt à ce que le sujet du changement climatique prenne de l’ampleur. Heureusement, il devient de plus en plus difficile à ces lobby d’agir mais l’exemple soulevé par Greenpeace montre que tous les placards n’ont pas encore été nettoyés de leurs cadavres.
Pire, dans certains pays, l’influence des climato-sceptiques reste forte. En 2014, un sondage réalisé aux Etats-Unis par le Pew Research Center avait révélé que 80 % des sondés démocrates reconnaissaient l’origine anthropique du changement climatique actuel, contre seulement 10 % des républicains. Je vous laisse savourer le niveau d’analyse de Donald Trump (candidat républicain à la présidence des Etat-Unis) sur la question.
Une fois qu’on a réglé leur compte aux climato-sceptiques « scientifiques » il reste à s’occuper des climatos « idéologiques ».
Pour ceux-là, tant pis pour le changement climatique, grâce à l’innovation et à l’ingéniosité de l’espèce humaine nous parviendront à nous relever de ce défi comme nous l’avons toujours fait. Géo-ingénierie, contrôle du climat voire terra formation nous permettront de nous en sortir alors pourquoi changer de mode de vie ?
Déjà, il faudrait pouvoir trouver, dans notre Histoire, un défi à la hauteur du changement climatique pour pouvoir comparer. Mais selon les transhumanistes, c’est l’homme qui s’adapte à son environnement et non l’environnement qui serait adapté à la vie de l’homme. Ensuite, cette vision pose plusieurs questions.
Le principal souci, c’est que pour lutter contre le changement climatique, il faudrait que nous commencions dès aujourd’hui (faute de l’avoir fait hier) à investir massivement dans les énergies renouvelables, l’efficacité ou la sobriété énergétique ou le biomimétisme. Or aujourd’hui une majorité de capitaux sont détenus par les GAFA (Google, Amazon, Facebook) qui affichent officiellement leurs positions transhumanistes et lancent des programmes de recherches dans ce sens à tour de bras excitant la presse et les opinions publiques.
Le deuxième, c’est une question plus morale. Je ne doute pas qu’une petite partie de l’humanité puisse un jour parvenir à un niveau technologique capable de maîtriser le climat, transférer sa conscience dans des robots ou immigrer sur une planète Mars adaptée aux conditions de vie humaine. Par contre, je pense que ce modèle de société ne peut voir le jour qu’en s’accompagnant d’une augmentation substancielle des inégalités économiques et sociales qui nous déchirent déjà aujourd’hui au hasard de nos frontières. De nombreuses inquiétudes pèsent déjà sur les limites finies des ressources de notre planète (énergie fossile, métaux, terres arables, eau…) qui remettent en question l’accès d’un mode de vie occidental pour les 9 milliards d’habitants prévus sur cette Terre en 2050. Donc, dans le modèle de développement actuel, tout développement technologique supplémentaire pour certains entrainerait une baisse du niveau de vie potentiel pour une majorité.
En d’autres termes : oui le PDG de Google pourra s’envoyer en l’air sur Mars mais 99% de la population creusera dans des mines, les pieds dans l’eau, sans chauffage ni électricité pour construire son vaisseau spatial.
Alors, deux solutions, soit on essaye de devenir PDG de Google, soit on lui met un gros coup de pied au cul d’ici là.