Deuxième jour, les VIP sont déjà repartis. Au tour des négociateurs de faire le job pour qu’un accord soit prêt pour le retour des (parents) chefs d’états prévus en deuxième semaine. Mais c’est quoi un négociateur au juste ? C’est le héros de l’ombre de la COP. Celui qui commence sa journée en préparant ses fiches à l’hôtel à 6h du matin et qui finit sa soirée dans un restaurant parisien à négocier jusqu’au petit matin. Chacun des 196 pays représentés à l’ONU dispose d’une équipe d’experts venus négocier pour les intérêts de leurs pays. Malheureusement, on sait que seulement environ une quarantaine d’états (les plus riches) sont réellement « capables » de négocier quoi que ce soit lors de ce genre de rendez-vous. Par manque de moyens, certains pays moins développés ne disposent pas d’assez d’experts qualifiés sur les questions énergétiques et capables de s’exprimer correctement en anglais.
Normalement, la Convention Cadre des Nations Unies pour le Changement Climatique (CCNUCC qui date de Rio en 1992) fixe des mécanismes de soutien financiers pour aider l’ensemble des pays à faire valoir leurs droits dans les négociations. En réalité, les alliances avec d’autres pays et le contre-pouvoir exercé par les observateurs et les ONG constituent le principal recours de ces états.
En ce mardi 1er décembre, on pourrait se dire que c’est le deuxième jour de la COP21. En réalité, dans les têtes de tout le monde, cela veut dire qu’il resteseulement 10 jours pour trouver un accord et le marathon commence.
En l’état, la proposition d’accord sur lequel planche tout ce beau monde depuis 1 an est constituée de 20 pages en anglais (disponibles ici) où se succèdent plusieurs propositions entre crochets. Comme dans un mauvais jeu télévisé les négociateurs doivent choisir quelles propositions adopter ou quel verbe choisir pour l’accord final. Chaque mot est décortiqué, étudié et sous pesé. Des mots définitifs dépendront toutes les conséquences de l’accord de Paris. 2°C ou 1,5°C ? Légalement contraignant ? Ambitieux ? Contrôlé périodiquement ? Objectifs quantifiés ou quantifiables ? Je ne me risquerais pas à rentrer dans les détails techniques et juridiques du choix des mots mais le choix de certains verbes est au cœur du débat et la lutte contre le changement climatique passe par la lutte contre le bescherelle. Notamment une phrase de l’article 3 (qui discute des aspects de lutte contre le changement climatique) cristallise toutes les attentions :
“Each Party [shall][should][other] regularly communicate a nationally determined mitigation [contribution][commitment][other] that it [shall][should][other] implement.”
Plusieurs possibilités apparaissent :
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La sélection du verbe shall indiquerait une obligation forte et contraignante de la part des états à communiquer leurs bilans de gaz à effet de serre et de mettre en place des actions de réduction.
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La sélection du verbe should indiquerait plutôt une incitation non contraignante des états à agir.
Pour éviter tout malentendu, l’accord ne sera traduit qu’au dernier moment dans les 6 langues de l’ONU (l’anglais, l’arabe, le chinois, l’espagnol, le français et le russe).
Pour mieux comprendre tous ces enjeux de vocabulaire, je vous invite à lire le très bon article de Libération à ce sujet.
Après les désaccords sur le fond, les experts devront régler les problèmes de forme. Là aussi, plusieurs possibilités :
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Le texte de Paris sera un traité : Cela engagerait tous les pays à faire ratifier le texte par leurs parlements nationaux. Plus compliqué donc (notamment pour les Etats Unis, où le congrès conservateur s’opposera à tout projet dans ce sens) mais beaucoup plus contraignant sur le plan juridique.
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Le texte de Paris ne sera pas un traité : plus souple, cette version ne nécessite que l’engagement des chefs d’états. A quelques semaines de la COP, John Kerry (Secrétaire d’Etat Américain) avait jeté un pavé dans la mare, affirmant que l’accord de Paris ne pourra pas être un traité.
Mais comme l’a tout de suite rappelé François Hollande, cette deuxième possibilité inquiète les observateurs qui y voient une porte de sortie a minima :
« Si l’accord n’est pas juridiquement contraignant, il n’y a pas d’accord. Parce que ça voudra dire qu’il n’est pas possible de vérifier ou de contrôler les engagements qui seront pris »
(François Hollande).
Vous l’aurez compris, après les belles intentions de ce lundi, tout le monde met les mains dans le cambouis. Rendez-vous Samedi 5 Décembre lorsque les négociateurs remettront leur première proposition de rapport à Laurent Fabius. Et la route vers un avenir à +2°C est encore longue.
Breaking COP News
Petit tour d’horizon des nouvelles fraîches du jour
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Défi climatique, solutions Africaines
L’Afrique était aujourd’hui au cœur de toutes les discussions. Un projet de barrière végétale qui traverserait le continent d’Est en Ouest pour lutter contre la progression du Sahel a été relancé. Aujourd’hui très peu pourvue d’infrastructures énergétiques, l’Afrique dispose cependant de gisements potentiels énormes en énergie renouvelable (éolien et solaire notamment). François Hollande s’est engagé à porter à plus de 2 milliards d’euros les financements de la France en faveur des projets d’énergies renouvelables en Afrique sur la période 2016-2020.

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Le Nicaragua bonnet d’âne ou rebelle ?
Le Nicaragua a annoncé aujourd’hui qu’il ne publierait pas sa contribution à l’objectif de 2°C. Depuis l’année dernière, tous les pays sont invités à déclarer des objectifs de réduction de leurs émissions de Gaz à effet de serre (GES). Mardi, 183 pays avaient détaillé leurs mesures pour limiter voire réduire leurs émissions de GES à l’horizon 2025 ou 2030, selon l’ONU. Selon le Nicaragua (qui serait soutenu par l’Inde, l’Argentine et le Venezuela) ces contributions volontaires et la COP21 ne servent que les intérêts des pays pollueurs qui « cherchent ainsi à échapper à leur responsabilité historique ». En effet les Etats-Unis, l’Union européenne, la Chine, la Russie et le Japon sont responsables des deux-tiers des émissions cumulées de CO2 depuis 1850…
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Allemagne, Canada, Chine, Ethiopie, France et Mexique appellent à fixer un prix au carbone
Le prix du carbone (présenté comme un des outils potentiels majeurs de lutte contre le changement climatique ne fera sans doute pas partie du texte de Paris. Ces états ont tout de même appelé à ce que les discussions permettent d’avancer sur la mise au point de mécanismes permettant de fixer le prix du carbone.

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Un premier accord pour le développement des énergies renouvelables ?
On sait que la production électrique est responsable de plus d’un quart des émissions de gaz à effet de serre notamment car cette production repose essentiellement sur les énergies fossiles. Les Etats-Unis ont annoncé avoir trouvé un accord avec 18 pays pour doubler les investissements de recherche dans le renouvelable d’ici 5 ans. Le Premier Ministre indien Narendra Modi, a salué une initiative qui « va combiner la responsabilité des gouvernements et la capacité d’innovation du secteur privé. ». Les pays participants sont l’Australie, le Brésil, le Canada, le Chili, la Chine, le Danemark, la France, l’Allemagne, l’Inde, l’Indonésie, l’Italie, le Japon, la Corée du Sud, le Mexique, la Norvège, l’Arabie saoudite, la Suède, les Emirats arabes unis, le Royaume-Uni et les Etats-Unis.
Car cette COP21, si elle ne permet pas de mettre tous les pays d’accords doit aussi servir à ça : trouver des accords multilatéraux pour avancer concrètement sur les causes du changement climatique
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Climat : la Belgique espère un accord… entre Belges avant la fin de la COP21
La Belgique ne compte pas moins de quatre ministres de l’Environnement : un pour la Wallonie (sud), un pour la Flandre (nord), un pour la région de Bruxelles (centre) et un pour le niveau fédéral. En discussion depuis 6 ans sur la question, la Belgique n’a toujours pas réussi à se doter d’une stratégie à long terme vis-à-vis du climat. Aujourd’hui, la presse et les ONG belges ont dénoncé cet état de fait déplorant l’image catastrophique qui était donnée par leur gouvernement sur la scène internationale.

Faute de pouvoir discuter du changement climatique, les négociateurs belges ont annoncé des mesures fortes concernant le menu de la cantine du centre de convention du Bourget
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Interdiction de manifester prolongée
Le préfet de police de Paris a interdit jusqu’au 13 décembre les manifestations dans « plusieurs communes avoisinantes du Bourget », où se tient la COP21, et sur le « secteur des Champs-Elysées, du Grand Palais et de la Concorde », où ont lieu plusieurs événements officiels de la COP. Le Grand Palais accueille en effet le salon « Solution COP21 » qui présente les solutions des entreprises contre le changement climatique. Ce salon est fortement critiqué depuis son annonce par les militants et les ONG fustigeant les entreprises organisatrices (Carrefour, Veolia, Ikea…), d’être la cause du changement climatique plutôt que les solutions.