On remerciera d’abord le héros inconnu de la semaine qui a programmé les élections régionales pendant la COP21. Question démobilisation du grand public, on n’aurait pas pu faire mieux tant le sujet a disparu du paysage médiatique Français. Malgré certaines oppositions (à gauche comme à droite) aucun changement de calendrier n’a pu avoir lieu. Certains accuseront une certaine incompétence ou au mieux le hasard. Les plus sceptiques se diront peut être qu’il s’agit d’une stratégie de communication préparée avec soin. Après tout, si l’accord promis depuis 4 ans à l’opinion publique (COP17 à Durban) n’est pas à la hauteur des enjeux, il sera bien facile d’en atténuer l’impact médiatique le week-end prochain. A l’inverse, si l’accord miraculeux attendu par tous émerge du brouillard des négociations à la fin de semaine, la majorité tiendra un bon point de son bilan à mettre en avant ! Pratique la veille d’une élection non ?
Alors à votre avis, hasard, incompétence ou stratégie ? Dites le moi, j’hésite.

Eléments de réponse avec l’atmosphère qui se dégage du Bourget aujourd’hui. Depuis le début de la semaine, les négociations piétinent. Les plus optimistes diront que c’est tout à fait normal. La première semaine a permis de régler « rapidement » les points les plus consensuels. Les points de blocage restants (financements, responsabilité, forme de l’accord, objectifs…) sont en cours de négociations. Tout devrait se décanter en fin de semaine. C’est une négociation donc même si certaines avancées n’apparaissent pas dans les brouillons d’accord, ces avancées seraient présentes dans les esprits des délégations…
Pour les plus pessimistes, ça sent le fond de casserole qu’on a oublié sur le feu.
Comme les ONG ne sont pas présentes dans la tête des délégations ou au cœur des débats, ce n’est clairement pas l’ambiance au champagne au sein de la société civile, à quelques jours de la fin de la COP21. Ces dernières ont multiplié les cris d’alarme ces dernières heures et la frustration s’accumule. Heureusement, le mouvement citoyen prend de l’ampleur et prépare la mobilisation de la fin de semaine.
La principale inquiétude actuelle des observateurs c’est la dissonance entre les discours introductifs de la première journée et les moyens de mise en œuvre déployés dans le futur accord. Tout particulièrement, beaucoup d’ONG s’inquiètent qu’aucun indice n’indique que les pays reviendront sur leurs engagements avant 2020 (date de déploiement de l’accord de Paris). Or, sans une révision de ces engagements, tous les modèles scientifiques montrent qu’une trajectoire en dessous de 1,5 ou 2°C est tout simplement impossible.
Alors que les délégations sont au pied du mur, le Réseau Action Climat a appelé les différents pays à « brusquer les négociations et se mettre des pays à dos ».
« Les promesses actuelles (si tenues) de 158 pays impliquent un #réchauffement de 2,7°C à l’horizon 2100. »
Réseau Action Climat
Les ONG ont occupé l’entrée de la zone de négociation pour demander une révision des engagements compatible avec un objectif de 1,5°C mis en avant par les chefs d’états en ouverture de la COP21.

Mais en fait c’est quoi ces engagements ?
Pour bien comprendre cet enjeu majeur, revenons un peu en arrière. Avant Copenhague (COP15), le processus de négociation dans le cadre de la CCNUCC était construit sur un modèle « Top-Down ». Les négociations aboutissaient sur un accord (ou pas) qui « descendait » ensuite sur les états devant mettre en place des mesures de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Le fameux protocole de Kyoto fonctionne d’après ce modèle.
Mais depuis l’échec de Copenhague, la méthode a évolué pour (espérons-le) garantir le succès de cette COP21. Les négociations s’organisent maintenant en « Bottom-Up ». Les 196 états sont censés publier leurs engagements en matière de réduction d’émissions de gaz à effet de serre, d’économie d’énergie et de développement des énergies renouvelables. Ces engagements, appelés INDC, permettent de « remonter » ensuite à la construction d’un accord universel.

On passe donc sur un système plus volontariste. Et c’est là tout le problème. Je vous passe les détails techniques mais tous les engagements publiés ne se ressemblent pas, y compris sur la forme ce qui complique leur intégration aux négociations. D’autre part, 12 pays n’ont pas publié leur INDC. Certains pays ont surement des bonnes raisons de ne pas le faire (Syrie, Lybie, Corée du Nord…). Mais d’autres y voit un moyen de peser dans les négociations. C’est par exemple le cas du Venezuela qui possède d’importantes réserves d’énergies fossiles.
Enfin, la somme de ces engagements volontaires dessine des trajectoires largement au-dessus des seuils de 1,5 ou 2°C encore en débat aujourd’hui.

Ainsi, pour pallier à ces problèmes, l’accord de Paris doit permettre de mettre en place un processus de révision de ces engagements APRES 2020. Le problème, c’est que ce point n’est toujours pas réglé. Lors d’une conférence de presse surprise organisée aujourd’hui par les BASIC (Brésil, Afrique du Sud, Inde et Chine), l’Inde a prôné pour une révision tous les 10 ans là où une majorité d’états et d’ONG demande un processus de révision tous les 5 ans. Enfin, quand bien même un compromis serait trouvé, l’accord de Paris n’inclut pour l’instant aucune révision de ces engagements AVANT 2020…

« Les ministres sont venus à la COP21 pour que nous échappions à un monde à +3°C et pour refuser de signer l’arrêt de mort de certains pays. C’était le sens de la série de discours prononcés par les chefs d’États il y a 8 jours seulement. Il semble que cette promesse soit oubliée. »
Réseau Action Climat
Disparition du respect des droits de l’homme ?
Autre point d’inquiétude des ONG : le paragraphe stipulant que l’engagement des pays à lutter contre le changement climatique devait s’accomplir en respectant un ensemble de droits universels a tout simplement disparu du brouillon de l’accord. Adieux droits de l’homme, égalité homme/femme, protection des peuples autochtones, protection des salariés, solidarité intergénérationnelle et sécurité alimentaire… La pilule a du mal à passer.
Le groupe des pays pauvres déstabilisé ?
Dernière source d’émoi : la journée d’aujourd’hui a été marquée par les premiers signes de d’opposition au sein du groupe des pays pauvres (G77 ). Jusqu’ici, ce groupe avait affiché un consensus à l’épreuve des négociations bienvenu pour contre balancer le pouvoir de négociation des pays riches. Mais aujourd’hui, les pays riches ont tenté de fragiliser cette unité en proposant aux pays les plus pauvres d’Afrique d’appuyer pour que les pays émergents participent au financement du fond vert (100 milliards de dollars par an pour aider les pays pauvres à lutter contre le changement climatique après 2020). En échange, les pays riches s’engageraient à verser plus d’argent aux pays Africains avant 2020…
Azi je t’échange mon ratatac contre ton tortank, je te promet que c’est kif kif.
Mais malgré tout cela, le tableau n’est pas complètement noir. Notamment, la mobilisation citoyenne prend de l’essor cette semaine avec l’ouverture de la « Zone Action Climat » animée par la Coalition Climat au Centquatre.

Ici, un militant explique à ses collègues internationaux le contexte de l’état d’urgence en France pour les aider à organiser leurs actions de mobilisation. Là, une militante a imprimé un exemple d’accord de Paris miracle sur des centaines de rouleaux de papier toilette et cherche des gens pour les infiltrer dans les latrines officielles de la zone bleue. Plus tard, une grand-mère appelle à la mobilisation générale contre le projet de Notre-Dame-Des-Landes. Juste avant, un jeune de la Courneuve dénonçait comment la municipalité avait fait expulser (sous ordres du gouvernement) le plus vieux bidonville de France pour nettoyer la route diplomatique qu’ont empruntée, la semaine dernière, les convois présidentiels. En fin de soirée, plusieurs militants font le point sur les mobilisations prévues en fin de semaine. L’objectif est clair : quel que soit le résultat de cette COP21, la société civile doit avoir le dernier mot Samedi et occuper la scène médiatique. Sacré défi comme je vous le disais en début d’article.

Mais selon cette foule de gens qui se donne rendez-vous tous les jours jusqu’à la fin de la semaine, « on a jamais demandé leur avis aux esclavagistes pour abolir l’esclavage ». Porter un pantalon, faire du vélo ou lire un média indépendant sont la preuve que la conquête de certains droits passe par une remise en question de l’ordre établi et des actions de désobéissance contre la loi.
« L’histoire est construite par ceux qui ne demandent pas la permission »
Plusieurs actions sont prévus jusqu’au point d’orgue de Samedi.
Pour symboliser le franchissement des lignes rouges d’un éventuel accord a minima, les ONG avaient prévu initialement d’entourer le centre du Bourget d’une chaine humaine rouge. Etat d’urgence de l’ambiance, la manifestation devra se réinventer : tous les attroupements publics sont interdits ? Les militants défileront 2 par 2 dans un endroit pour l’instant tenu secret. Les informations seront distillées au compte-goutte sur internet.
Une chorale de Noël devant Notre Dame est prévue pour dénoncer l’incohérence du projet gouvernemental d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes avec le discours affiché par la Présidence Française de la COP21.
La mobilisation ne s’arrête pourtant pas à Paris. L’opération Climate Games bat son plein sur le net. Depuis le 30 Novembre, la plateforme permet aux citoyens de se mobiliser contre les « criminels du climat ». Environ 300 équipes sont déjà enregistrées et ont repéré 200 terrains de jeu potentiels dans le monde entier. Au programme : blocage de mines en charbon en Allemagne, succursale de VW paralysée, 600 panneaux publicitaires détournés dans Paris…
Leur slogan : « Nous ne nous battons pas pour la nature, nous sommes la nature qui se défend ».
Samedi, tous les regards doivent être tournés vers Paris. La Coalition Climat a organisé une action de mobilisation innovante pour contourner l’interdiction de manifester :
Tous les militants finiront par converger vers le Stade Charlety à 16h où le gouverment a autorisé un rassemblement civique et public.
D’autres espaces comme le Jardin d’Alice ou Place to B s’animent depuis le début de la COP. Partout dans les rues de Paris, la mobilisation citoyenne tente de lancer un mouvement qui peine à prendre de l’ampleur depuis l’échec des négociations de Copenhague.
Espérons que ces événements ne passent pas inaperçus dans un pays secoué par les tourbillonnements politiques de la montée des extrêmes.
Allez, on termine par un petit message laissé par notre ami Arnold Schwarzenegger aux étudiants de Sciences Po Paris :
« J’espère que cela ne sera pas la dernière fois que je serai devant vous et que je pourrai dire : “I’ll be back »
Et par quelques autres photos de la ZAC 🙂