Non la France n’est pas la championne du climat, loin de là !

Aujourd’hui, je suis tombé sur un article du Monde qui a attiré mon attention. La France serait la nouvelle championne du climat. Houra ! Cocorico ! Mais à y regarder dans les détails, il semblerait que l’heure ne soit pas à la complaisance.

 

La France en tête du Climate Change Performance Index

Commençons par le début et par ce que nous dit l’article du Monde en question.

 « Distribution de bons et de mauvais points sur l’action climatique. Publié mercredi 16 novembre, le Climate Change Performance Index, un rapport annuel qui évalue les politiques de 58 pays, salue cette année les actions de la France et du Maroc, pays hôtes des deux dernières conférences sur le climat. »

Le Monde, 16/11/2016

 lemonde

Il faut admettre que le rôle positif de la France dans les négociations de la COP21 à Paris, avant, après et pendant la conférence du Bourget a été reconnu par beaucoup de délégations.  On comprend donc la place de choix de la France dans ce classement. De l’autre côté du classement, Japon, Canada et Arabie saoudite sont désignés comme les mauvais élèves. États-Unis et Chine, les deux plus gros pollueurs mondiaux sont aussi épinglés. Logique.

Etre premier d’une classe de cancres ne fait de nous des champions du climat

Mais ce que ne dit pas l’article du Monde, c’est que ce classement (téléchargeable ici) n’a pas pour but de désigner un champion du climat comme le laisse entendre le titre choisi par le/les journaliste(s). En fait, il s’agit de comparer les actions en matière de climat des 58 pays qui émettent le plus de gaz à effet de serre (au total 90% des émissions mondiales proviennent de ces 58 pays). Ainsi, la France est première d’un classement qui ne concerne que les cancres du climat ! C’est comme si on prenait tous les psychopathes de la planète et qu’on désignerait le plus gentil ! Pas mal non ? En réalité, la France a plus en commun avec les derniers de ce classement désignés comme les mauvais élèves qu’avec les 130 autres pays qui n’ont jamais été envoyés à l’internat et qui sont les vrais champion du climat.

Tout le problème vient donc du titre choisi par les journalistes du Monde et la manière dont est présentée l’information. En creusant un peu, on s’aperçoit donc que le titre de l’article aurait pu très sérieusement dire le contraire. Or, quand on sait qu’à l’heure des réseaux sociaux, l’information circule essentiellement à coup de titres d’articles facilement likables (sans les lires évidemment), on a de quoi s’inquiéter. Certes, la presse papier est en train de mourir et il faut faire du clic pour survivre. Il faut donc traiter l’information plus rapidement et jouer d’astuces de communication pour attirer les lecteurs. Et on arrive au cœur du problème. Ce titre d’article a été choisi parce qu’il nous arrange, nous lecteurs français. Il en appelle à notre fierté nationale. Et surtout, il nous rassure car nos modes de vies ne seraient pas remis en cause ou responsable du changement climatique car nous sommes les « champions du climat » ! Hallelujah !

La France est tout sauf une championne du climat

L’année dernière, je vous avais déjà fait part de mes réflexions sur un éventuel classement des plus gros pollueurs en 2e partie de cet article .

Un tel classement est très difficile à mettre en place. Il faut s’accorder sur ce qu’on veut comparer : Les émissions brutes ? La balance des émissions nettes (en prenant en compte l’absorption naturelle inéquitablement répartie entre les pays) ? Les émissions par habitant ? Les émissions instantanées ou la responsabilité historique des émissions passées ?

Souvent pointée du doigt, la Chine est le plus grand pollueur mondial en termes d’émissions de gaz à effet de serre nettes. Elle est en milieu de classement pour les émissions par habitant et elle ne profite pas du fait que beaucoup de produits essentiels à nos modes de vie sont produits en Chine. Bref, on s’y perd rapidement.

 Ce qu’on peut faire, c’est s’interroger sur nos modes de vie qui sont à la fois contraints par la société dans laquelle nous sommes nés et par nos choix de consommation quotidiens. A ce petit jeu-là, en tant que français, rien de quoi être fier au regard du monde. La France est 11e (comprenez le 11e pays le pire sur 197) en terme d’empreinte écologique. Il faudrait 2,5 planètes pour que tout le monde puisse vivre comme un français.

Nos modes de vie ne sont pas politiquement négociables

Et on touche là un gros problème. Car quel homme politique se ferait élire sur une remise en question de la bavette frite, de la voiture pour tous et des vacances aux Maldives ? Alors le mieux qu’on puisse faire, c’est chasser les gaspillages, transformer notre économie pour qu’elle produise moins de déchets (économie circulaire) ou moins de gaz à effet de serre (transition énergétique). Mais quoi qu’il arrive, ce mode de vie n’est pas négociable. Dans les media, ça a l’air de se bouger pas mal en haut de l’état sur le développement durable et la croissance verte. Pourtant quand on compare les ambitions affichées et les résultats obtenus, ce n’est pas la gloire. La France est en retard sur ses objectifs de réduction de gaz à effet de serre et de production d’énergie renouvelable. L’Europe qui avait joué un rôle moteur sur ces sujets au début des années 2000 est à la traîne aujourd’hui. On s’inquiète de l’élection de Donald Trump mais la prochaine directive européenne en matière d’énergie devrait même faire la part belle au charbon ! Ils sont beaux les champions !

 bavette

La France peut devenir un champion du climat

Pourtant, la France a des ressources inexploitées en matière de lutte contre le changement climatique. Elle sera exemplaire le jour où elle arrêtera de subventionner des énergies fossiles, l’agro-industrie bovine ou la construction de routes et d’aéroports. La France sera exemplaire quand un gouvernement parviendra enfin à rénover thermiquement autant de logement pendant son mandat que dans son programme présidentiel. La France sera exemplaire quand elle ne défendra plus des traités de libre-échange que tous les experts considèrent comme ennemis du climat. La France sera exemplaire lorsqu’elle proposera un projet de société crédible à ses citoyens vis-à-vis de la contrainte climatique et des infrastructures adaptées à une vie bas carbone : transports en commun efficaces et gratuits, accès à une alimentation locale et de saison, logements énergétiquement performants…etc

Ce n’est qu’à ces conditions que nous pourrons conserver nos modes de vie actuels et espérer devenir des champions du climat.

L’engagement citoyen est la première étape

Mais n’attendons pas de nos politiques qu’ils fassent le travail à notre place. Si vous lisez ces lignes, c’est que la question du climat vous préoccupe. Vous pouvez déjà faire beaucoup à votre échelle dans des proportions que vous êtes en libre de décider vous-même : limiter votre consommation de viande, limiter vos déplacements en avion, manger local et de saison…etc. Votre panier de course est un bulletin de vote. Chaque petit choix individuel caractérise la société dans laquelle nous souhaitons vivre. Nous avons tous des graines de champions du climat.

  marcheclimat

Les vrais champions du climat sont Ethiopiens ou Fidjiens

En attendant, les vrais champions du climat ce sont tous les pays qui ne sont pas dans le classement dont parle l’article du Monde. Ils n’ont jamais pu profiter des bénéfices apportés par les énergies fossiles et de tout le confort de nos modes de vie développés. Pourtant, ils vont se prendre les conséquences du changement climatique de plein fouet et bien plus en souffrir que nous.

Alors que nous n’on en demandions pas tant, ce sont aussi ces pays-là qui sont prêts à faire le plus d’efforts dans l’action climatique. Un Ethiopien consomme déjà 10 fois moins d’énergie (0,38 TEP/hab) qu’un Français (3,8 TEP/hab) mais l’Éthiopie est prête à revoir son INDC (sa contribution à l’accord de Paris) pour émettre encore moins de gaz à effet de serre qu’aujourd ‘hui. Autre exemple, les îles Fidji, qui seront fortement impactées par la montée des eaux, ont déclaré en 2015 être prêtes à accueillir les habitants de Tuvalu et Kiribati qui vont, elles, disparaitre à cause du changement climatique. Un petit peu plus crédibles pour un titre de champion du climat non ?

afdenethiopie

En tout cas, espérons que cet article du Monde ne remonte pas aux oreilles des délégations des 130 pays qui se partagent les 10% d’émissions de gaz à effet de serre restantes. Pour eux, présenter la France, un des pays les plus pollueurs du monde et un des plus historiquement responsables du changement climatique, comme un champion du climat pourrait être interprété comme un véritable affront. Espérons que les négociateurs nous pardonneront ou croiront à l’incompétence de nos journalistes.

 La responsabilité des media ?

 En conclusion, cette affaire m’interroge surtout sur le rôle de nos media, sur la place qu’ils ont aujourd’hui et sur leur niveau de performance et/ou leur impartialité. La frontière est parfois trompeuse entre une information (la France, parmi les pays les plus responsables du changement climatique, a fait des efforts reconnus en 2015 dans l’action climatique) et un message politique derrière un effet d’annonce (La France est championne du climat). Et il faut faire preuve d’un peu d’esprit critique avant de digérer toute information. Je suis toujours effaré quand je me rends compte de choses aussi grossières. Heureusement pour moi, le climat est un sujet qui me passionne, sur lequel je suis formé et pour lequel je suis prêt à prendre un peu de temps pour réfléchir et décortiquer l’information qui m’est présentée. Mais que penser des autres sujets sur lesquels je n’ai aucune expérience et/ou moins de temps à consacrer ? Faut-il avoir 15 doctorats en économie/histoire/philosophie/sciences/psychologie/finance pour être capable de décrypter l’information quotidienne ? Nos démocraties ne nous demandent-elles pas de nous faire un avis sur l’ensemble de ces sujets à la fois ? N’est-ce pas déjà le rôle du journaliste de vulgariser objectivement une information ? Si je dois passer 30 min à vérifier chaque information, pourquoi je perdrais mon temps à lire un media ? N’est-ce pas ce genre d’exemple qui ouvre en grand la porte aux populistes et aux amateurs de théorie du complot en tout genre ?

 Certes, il ne faut pas faire d’un exemple précis des généralités. Mais, je ne compte plus ce genre d’exemples. Rien que récemment toujours sur la question du climat, je pourrais vous citer le traitement médiatique de l’accord de l’OACI (Organisation de l’Aviation Civile Internationale) sur le climat ou de la consultation pour l’aéroport de Notre Dame des Landes. Ces deux exemples montrent le même manque d’investissement journalistique. Dans un cas, on a un secteur industriel qui boude les négociations internationales sur le climat (voire les torpille) depuis des années qui se met d’accord sur un mécanisme loin d’être à la hauteur et qui est applaudi par le monde entier. Dans l’autre, on a une consultation publique qui se transforme en un référendum dans la plupart des articles de presse. Le poids des mots est important. Plus j’explore ces sujets de changement sociétaux, plus je considère qu’il s’agit avant tout d’une bataille de communication avant d’être une bataille des idées.

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Je ne me lancerai pas plus loin ici dans un débat sur l’impartialité de nos media. Tout ce que je peux faire, c’est faire remarquer qu’en France une quarantaine de grands groupes ou de riches actionnaires possèdent la quasi intégralité de nos média. Ces même grands groupes sont ceux qui ont le plus à perdre dans une prise de conscience globalisée de la menace climatique et dans une remise en question de nos modes de vie et de consommation car leurs profits viennent de tous nos achats incompatibles avec un monde sous contrainte climatique. De là à ce que cela influe sur la manière dont l’information parvient aux citoyens… Vous pouvez me traiter de théoricien du  complot.

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