Climat et réforme des retraites et si on se trompait d’hypothèses ?

J’ai pris un peu de temps pour me plonger dans l’analyse du projet de réforme des retraites. Le débat actuel sur cette réforme n’évoque pas du tout la question écologique et notamment climatique. Rare exception, j’ai trouvé cette analyse de Jean Gadrey particulièrement intéressante et je en vous en propose ici un commentaire.

Je ne débattrai pas ici du bien fondé de cette réforme. Le début de l’article de Gadrey propose quelques analyses intéressantes pour se faire un avis.

Sur le fond, pour ou contre la réforme, chacun avance ses arguments. Mais le débat ne se porte que sur le plan social et économique. Gouvernement et opposants continuent de se projeter dans un cadre de pensée et dans des idées qui ignorent les réalités physiques de notre avenir. Pourtant, quand on se pose la question de notre retraite, il serait intéressant d’y inclure les enjeux écologiques. Dans quel monde vivrons nous cette retraite ? Quel intérêt de discuter des pensions en 2050 si nous vivons dans un monde à feu et à sang à cause du climat et des autres pollutions ?

 

Comme souvent avec la question climatique, il y a donc deux sujets : l’adaptation et l’atténuation.

1) L’ADAPTATION : il faut intégrer le changement climatique dans les réflexions sur l’espérance de vie et l’équité.

Exemple : dans un monde avec plus de 100 jours de canicule à 50°C (Scénario RCP8.5, le « on continue comme avant »), la question de la fin de vie va rapidement devenir critique. Sur le graphique ci-dessous (Source Météo France), on peut voir (en rouge) une simulation des prochaines vagues de chaleur dans le cas où les émissions de gaz à effet de serre continuent d’augmenter (scénario RCP 8.5 du GIEC), amplifiant les effets du changement climatique. L’axe des abscisses représente la durée de la vague de chaleur en jours. L’axe des ordonnées représente l’intensité de la vague de chaleur avec la température moyenne attendue.

On parle ici de température moyenne jour/nuit sur toute la France. Cela cache donc des disparités géographiques et des pics de température en journée (50°C+ en climat continental). 

Mauvaise blague : voilà qui risque d’améliorer l’équilibre financier de la caisse de retraite en réduisant quelque peu le nombre de bénéficiaires.
Questions sérieuses : Jusqu’à quel âge pouvons nous travailler dans ces conditions ? Quel intérêt de vivre une retraite dans ces conditions ?

Ceci n’est qu’un exemple des conséquences du changement climatique. Mais il me paraissait tout à fait adapté à la question de la fin de vie. Assurément, les débats sur les retraites devraient intégrer toutes les questions écologiques du monde dans lequel nous vivrons au cours du siècle.

 

2) L’ATTÉNUATION : Les scénarisations paramétriques de la réforme font toutes l’hypothèse d’une croissance continue du PIB qui serait délétère pour notre environnement notamment nos émissions de gaz à effet de serre (GES) et accentuerait notre dépendance aux énergies fossiles.

Alors que le mythe de la croissance verte semble encore convaincre nos dirigeants, aucun travail scientifique ne prouve qu’il est possible de faire baisser les émissions de GES par la croissance économique (on parle souvent de découpler les émissions de GES et le PIB). L’article de Gadrey cite les travaux de Jean Marc Jancovici ou Gaël Giraud par exemple. Au contraire, plus nous faisons croître notre économie, plus nous consommons, plus nous faisons pression sur les ressources naturelles et les écosystèmesn plus nous émettons des gaz à effet de serre. Les politiques économiques actuelles ignorent donc complètement les réalités physiques de notre monde. Elles s’inscrivent dans plus de 200 ans de pensée économique et sociale : «Les richesses naturelles sont inépuisables, car, sans cela, nous ne les obtiendrions pas gratuitement. Ne pouvant être ni multipliées ni épuisées, elles ne sont pas l’objet des sciences économiques» (Jean-Baptiste Say,1803).

Cette réforme des retraite (et tous les débats qui l’accompagnent) ne fait pas exception. Exemple : en instaurant en principe fondateur de limiter les montants des pensions à 14% du PIB, le gouvernement fait le pari que la croissance économique permettra de maintenir un niveau de pension identique par personne alors que le nombre de bénéficiaires va augmenter du fait du vieillissement de la population.

Une politique sérieuse (pour les retraites et pour tout le reste) serait au contraire de présupposer que le PIB ne peut que décroître. Evidemment, cela ne simplifie pas du tout l’équation sociale posée par la réforme. A mon avis cela nous invite à d’abord agir drastiquement contre les inégalités. En moyenne, les Français les 10 % les plus aisés perçoivent des revenus 6,7 fois plus élevés que les 10 % les plus pauvres (Insee, 2016) après impôts et prestations sociales (Voir ici).

Si la taille du gâteau (PIB) n’augmente plus, il faut revoir la manière dont nous le partageons. Principe de justice et d’équité mais aussi de pragmatisme pour garantir un certain ordre social. Une fois évacué le mythe de la croissance verte, on se rend vite compte que la sobriété doit devenir le pilier de notre société. Mais ce changement de paradigme semble complètement hors d’atteinte et démocratiquement inacceptable dans un monde les inégalités continuent d’augmenter. Si tel est le cas, nous allons aux devants de conflits politiques et sociaux bien plus graves que ceux que nous avons connus.

Et l’alternative n’est pas bien meilleure : Si la taille du gâteau continue d’augmenter, les conséquences du changement climatique vont s’intensifier. Et nous allons aussi aux devants de conflits politiques et sociaux bien plus graves que ceux que nous avons connus.

Bref, ce n’est pas simple, mais quitte à s’attaquer aux problèmes complexes, autant vérifier que nous avons les bonnes hypothèses de départ…

Crédits image : REUTERS – GONZALO FUENTES

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