Les voyous de la mine : enfreindre la loi au nom du climat

Lundi 6 Novembre, s’est ouverte la COP23 deux ans après la COP21 et la création de ce blog. Comme toujours, je profiterai de cet événement pour publier quelques articles sur l’énergie et le climat et le suivi des négociations onusiennes. Mais aujourd’hui, j’ai souhaité écrire quelques lignes sur ce que j’ai eu la chance de vivre ce week-end. Le premier week-end d’une COP sonne toujours le lancement des mobilisations citoyennes qui auront lieu en marge des négociations. Pour l’occasion, j’étais présent à Bonn en Allemagne pour participer à une action de désobéissance civile de masse : Ende Gelände, l’occupation et le blocage illégal d’une des plus grosses mines de charbon à ciel ouvert du monde par 3000 personnes venues de toute l’Europe. La première partie de cet article décrit les raisons qui m’ont poussé à participer à cette action et enfreindre la loi au nom du climat. La seconde partie raconte concrètement comment tout cela s’est déroulé et les enseignements que j’en retire.

L’objet du délit

Tout d’abord, prenons un peu de hauteur pour admirer l’objectif de l’action : bloquer et occuper la mine de lignite d’Hambach. A raison de 70 hectares par an, cette mine à ciel ouvert engloutit forêts et villages dont les propriétaires sont peu à peu expropriés malgré les mobilisations. Il s’agit tout simplement du plus gros « trou » creusé par l’Homme sur la planète. Large pour l’instant de 39 km2 (le gestionnaire prévoit de l’élargir jusqu’à 90 km2), la mine s’enfonce jusqu’à 300m de profondeur et doit être visible de l’espace. Sur place, impossible d’appréhender tous ces chiffres. Seul un dézoom sur googlemaps permet de se rendre compte de la démesure du site. D’en haut de la mine, l’horizon visible semble avoir été découpé artificiellement comme si des géants imaginaires avaient creusé des terrasses monumentales et formé ici et là d’immenses pâtés de sables. Pourtant, dès que l’on s’enfonce un peu, on perd tout de suite toute notion de taille et de distance, on semble englouti dans un désert de sable apocalyptique à perte de vue.

 

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Et ils appellent ça une mine.

 

En fait, les géants ne sont pas totalement imaginaires. Tout droit sorti d’un Mad Max, permettez-moi de vous présenter Bagger 293, la plus grosse machine jamais construite par l’homme sur Terre.

 

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Là aussi, les chiffres donnent le tournis : 100m de haut (un terrain de foot), 225m de large (presque une tour Eiffel) et 14 500 tonnes de fer et d’acier. En son sein, une roue de 21m de diamètre armée de 18 pelles de 15m3 chacune permet de faire des pâtés de 240 000 m3 de terre par jour. Tout cela grâce aux 17 MW (l’équivalent de la consommation électrique de 20 000 personnes) fournis par la centrale toute proche et aux équipes de 5 personnes qui se relèvent jours et nuits pour l’actionner. Dans toute la mine 6 excavatrices de ce genre s’affairent en continu à faire des petits pâtés de sable.

 

 

La « magie » de l’inventivité et de l’ingénierie humaine semble donc sans limite puisque nous sommes capables de déplacer des montagnes (littéralement !). Mais l’objectif n’est pas paysager. Dans la région, 3 mines comme celle d’Hambach alimentent en lignite les centrales électriques de Neurath (2 200 MW) et de Frimmersdorf (1655 MW). Le charbon de lignite est tout simplement l’énergie la plus sale du monde. Sa combustion permet de produire de la chaleur et de l’électricité. Outre les destructions environnementales liées à l’activité minière (émissions radioactives, micro particules, destructions d’écosystèmes, déforestation), l’utilisation de cette énergie relâche plus de gaz à effet de serre que n’importe quel autre combustible fossile. L’exploitation de la mine est prévue pour durer jusqu’en 2050 alors qu’on sait déjà que les objectifs de la COP21 sont inatteignables si ce genre d’installations ne sont pas fermées immédiatement.

 

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Espérons que les négociateurs présents à Bonn viendront admirer la vue.  Crédits : Elian Hadj-Hamdi

 

Et le plus cynique dans cette histoire c’est que tout cela se trouve à 50 km de Bonn et des négociations internationales sur le changement climatique où 20 000 personnes en costume échangent leurs cartes de visites en prétendant sauver le monde. Ca fait tâche non ?

 

Comment devient-on un voyou : de l’inertie politique à la désobéissance civile

Ainsi, depuis 23 ans, nous avons confié aux hommes et femmes politiques du monde entier la responsabilité de lutter contre le changement climatique via les voies légales. Mais celles-ci sont lentes, inertielles et ralenties par des intérêts économiques et industriels qui se fichent bien des perspectives à long terme ou des intérêts collectifs. Le changement climatique, lui, n’attend pas et alors que nous avons vécu une année 2017 record en termes d’incendies, d’ouragans, d’inondations et de catastrophes naturelles, la limite des 2°C de réchauffement semble presque déjà perdue de vue. L’ensemble des Etats se sont engagés politiquement en 2015 à suivre une voie différente. Mais la révolution énergétique, sociale et économique tant attendue n’est pas encore visible à l’horizon.

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Deux ans seulement après la COP21, la désillusion n’est pas très loin

 

Pourtant, si on ne veut pas éviter le pire, il faudra bien accélérer les choses. Avec la transformation des entreprises ou l’éducation, la mobilisation citoyenne est un levier auquel je commence à croire plus que les promesses politiques. Tout progrès social implique à un moment de bousculer l’ordre établi afin de faire évoluer la loi. Pour autant, je m’inquiète du changement climatique car je pense qu’il s’agit du principal risque de déstabilisation sociale de nos sociétés. Pour faire court, si on continue, ce sera au mieux la guerre civile un peu partout, au pire, la fin de l’espèce humaine telle que nous la connaissons.  Pour autant, n’inversons pas la logique, une révolution violente ne peut être la solution au changement climatique puisque c’est justement la violence que l’on cherche à éviter. C’est là que la désobéissance civile prend tout son sens. Là où la révolution oppose la violence à la violence, la désobéissance civile  est le refus assumé et public de se soumettre à la loi lorsque celle-ci est jugée injuste ou inutile, tout en faisant de ce refus une arme de combat pacifique. Depuis que les démocraties existent, ce genre d’actions fait partie intégrante du processus de fabrication et de modification de la loi. Certains parlementaires allemands et européens, présent ce week-end pour observer et participer à l’action l’ont bien compris.

Avant eux, quelques personnages militants célèbres ont illustré le courage de leurs convictions via la désobéissance civile : Gandhi contre le monopole colonial en Inde, Martin Luther King pour les droits universels aux États-Unis ou Nelson Mandela contre l’Apartheid en Afrique du Sud. Héros de l’Histoire aujourd’hui, hier, ils avaient choisi de devenir des voyous en engageant leur identité et leur responsabilité civile. Ils l’ont souvent payé le prix fort. Au cours de leurs actions, ils furent violentés, arrêtés et emprisonnés par des Etats, détenteurs du pouvoir et du monopole de la violence, refusant d’adapter des lois pourtant dépassées par leur époque. Pourtant, ces militants ont alors réussi à générer une prise de conscience générale autour des enjeux cruciaux et, en déplaçant le rapport de force, ont forcé ces Etats à modifier la loi au bénéfice du progrès social.

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« Nous avons la responsabilité morale de désobéir aux lois injustes » Martin Luther King Jr

 

L’oppression coloniale ou la lutte pour les droits universels furent certainement les grands enjeux sociaux du XXe siècle qui justifiaient leurs actions. Au XXIe siècle, le changement climatique ne serait-il pas le combat à mener ? Dans ce cas-là, pourquoi ne pas se mobiliser pour que l’Europe sorte rapidement des énergies fossiles en commençant tout de suite par les plus polluantes comme le charbon et la lignite massivement utilisés en Allemagne ? Sans vouloir prétendre être le nouveau Mandela, c’est une cause pour laquelle je suis  aujourd’hui prêt à engager ma responsabilité de citoyen européen et aider la jeunesse allemande à affirmer ses convictions, générer une prise de conscience publique et faire évoluer la loi. C’est pour cela que j’ai participé à Ende Gelände. C’est pour cela que je choisi de publier cet article en mon nom propre. Je n’ai rien à cacher. Moralement je n’ai rien à me reprocher. Je suis convaincu que l’Histoire jugera de la légitimité de nos actions. Agir sous anonymat ne ferait qu’affaiblir cette légitimité.

 

Le consensus d’action

Voici donc pour le fond. Intéressons-nous maintenant à la forme. L’action de Ende Gelände, s’organise autour d’un consensus d’action qui fixe l’ensemble des règles qu’acceptent de respecter tout participant à l’action. Ce consensus a été décidé au travers d’un processus collectif de plusieurs mois au sein de plusieurs plénières ouvertes auxquelles ont participé de nombreuses organisations et individus.

Celui-ci peut être résumé comme suit :

  • Agir en tant que citoyen déterminé à lutter contre le changement climatique

Étant donné l’urgence de la question climatique, les participants estiment qu’il est à la fois nécessaire et adéquat d’aller jusqu’au bout et de passer de la simple manifestation de convictions politiques à la désobéissance civile. Pour cela, ils sont déterminés à enfreindre la loi afin d’atteindre leur objectif : bloquer le fonctionnement de la mine via une occupation illégale.

  • Dire ce que l’ont fait, faire ce que l’ont dit : transparence et responsabilité collective

L’ensemble de l’action a été présentée en amont aux autorités et fait l’objet d’un dialogue avec RWE, le producteur d’électricité allemand qui opère la mine, afin d’éviter toutes conséquences malheureuses et non souhaitables. Contrairement aux Etats en matière de lutte contre le changement climatique. Le déroulé de l’action le jour J sera conforme avec ce qui a été publiquement annoncé. L’ensemble des participants agissent en leur nom, en totale transparence et à visage découvert. Ils assument la responsabilité collective de l’action et sont prêts à empêcher que les autorités fassent endosser à certains individus la responsabilité individuelle de l’action. Par exemple, l’ensemble des participants sont invités à refuser de décliner leur identité pour ralentir les processus d’identification des participants et organisateurs.

  • Occuper les lieux sans destruction, ni détérioration, ni provocation : non-violence, respect des travailleurs et des forces de l’ordre

L’ensemble de l’action se déroule de manière totalement non-violente. Les participants usent de leurs corps pour avancer vers leurs objectifs sans menacer ni les forces de l’ordre, ni les personnes travaillant sur site et sans dégrader le matériel présent. Aucune provocation (violence, insultes…) envers les forces de l’ordre ou le personnel n’est tolérée car ces personnes ne sont pas responsables des lois injustes dénoncées par les participants.

  • Agir collectivement, prendre soin des autres et se soutenir mutuellement : calme, réflexion, prise de décision démocratique :

Chaque individu participe à l’action au sein d’un groupe de confiance appelé groupe affinitaire (5 à 10 personnes). Chaque groupe affinitaire assure la protection de ses propres membres pendant l’action et décide collectivement, à tout moment, de son implication dans l’action. Un représentant de chaque groupe affinitaire participe aux prises de décision de l’ensemble de l’action. Si le consensus de l’action ne correspond plus à la volonté du groupe affinitaire, celui-ci peut décider de sortir de l’action. Au sein de chaque groupe affinitaire, plusieurs binômes veillent mutuellement les uns sur les autres.

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Les armes de la non-violence. Crédits : Ende Gelände

 

Le déroulé de l’action

C’est fini pour la théorie. Voyons un peu comment cela s’est passé.

 Arrivée à Bonn

L’action est prévue pour le dimanche afin de laisser le temps aux participants de rejoindre Bonn depuis toute l’Europe. Au total 3000 personnes se sont donné rendez-vous dans un camp de base situé au cœur d’un parc au bord du Rhin. On y sert boisson et repas à prix libre. Chacun est invité à donner un petit peu de son temps pour le service et la préparation. On y croise beaucoup d’Allemands évidemment mais aussi des Italiens, des Français, des Britanniques, des Espagnols. C’est bon de prendre conscience que partout des jeunes sont aussi mobilisés sur la question climatique. Mais il n’y a pas que des jeunes, le côté intergénérationnel est aussi très sympa. Dans l’après-midi du samedi 4 Novembre, 25 000 personnes défilent contre le changement climatique dans les rues de Bonn. Un record pour un pays moins habitué aux manifestations de foules que chez nous. Le reste de la journée est consacré à la présentation de l’action, à la constitution des groupes affinitaires et à un entraînement à différentes techniques de manifestation non-violentes.

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Crédits : Ende Gelände

 

Présentation de l’action et formation

Sur le terrain, l’action sera menée par 5 « doigts » qui formeront une main tentant de s’emparer de la mine. Le doigt Bleu rassemble les participants qui souhaitent simplement manifester sans désobéir à la loi. Très festif, ce doigt accompagnera les 4 autres jusqu’à l’orée de la mine. On y retrouvera les Climate Pacific Warriors, des activistes des Iles Fidji venus alerter le monde sur la disparition de leurs îles. On creuse du charbon ici, l’eau monte là-bas. Leur témoignage est très fort. Le doigt Orange regroupe les participants qui souhaitent participer à l’action sans entrer au contact des forces de l’ordre. Les doigts Rouge, Vert et Doré formeront les groupes qui iront bloquer les excavatrices, quitte à devoir passer au travers des forces de sécurité.

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Crédits : Ende Gelände

 

L’après-midi, des formations à l’action non-violente sont proposées. Tout le « jeu » est de manœuvrer collectivement pour embrouiller au maximum les forces de l’ordre afin qu’elles ne soient pas en mesure de stopper tous les manifestants et d’éviter les confrontations. Certains signes de la main, reproduits par tous, permettent de transmettre des ordres (on se disperse, on forme une colonne, on s’arrête…) rapidement au sein du doigt. Une fois immobilisé ou encerclé, certaines techniques (former une chaine humaine, faire le poids mort…etc) permettent de ralentir au maximum l’évacuation des lieux afin de laisser un peu de temps aux autres pour continuer l’action. Mais à aucun moment il ne s’agit de menacer ou d’agir contre la police. On tourne le dos au cordon de CRS, on évite de courir, on n’utilise ses bras que pour s’accrocher à son voisin, on ne détériore rien. Les uns s’entrainent aux différents mouvements, les autres jouent le rôle des forces de l’ordre.

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Crédits : Ende Gelände

 

Les risques légaux, bien réels, sont explicités à tous. Chacun prend connaissance de ses droits et devoirs en cas d’une garde à vue éventuelle. En Allemagne par exemple, l’action prévue est considérée comme un crime qui peut faire l’objet d’une garde à vue de 12h suivie d’un passage devant le juge et d’une grosse amende. Heureusement, une équipe d’avocats sera joignable au téléphone pendant l’action afin d’accompagner les participants éventuellement arrêtés.

 

Debrief de la journée avec le groupe affinitaire

Malgré la gravité du moment, l’ambiance générale est détendue et bon enfant. Sur le coup, j’avoue que je suis plutôt mal à l’aise. On joue à Poule, Renard, Vipère avec ses copains qui simulent les faux policiers mais j’ai du mal à imaginer comment cette bande de joyeux lurons à short à fleurs va se comporter en face de vrais CRS en matraques et armures. Le soir venu, autour d’une bière, on discute beaucoup au sein du groupe affinitaire pour savoir jusqu’où chacun est prêt à aller. Certains, plus habitués, sont déterminés à y aller à fond là où d’autres s’éviteraient bien de passer la nuit dans la prison du coin. L’expression ouverte et bienveillante de tous les points de vue permet de soulever d’importantes questions et de détailler les situations éventuelles où nous pourrions être amenés à prendre une décision rapidement. Le fait que chacun expose ses doutes à tour de rôle est très rassurant. Tout le monde semble très attaché à ce que chacun se sente bien pendant l’action, les moins rassurés comme les plus déterminés. Finalement nous décidons de nous laisser la liberté de séparer le groupe en sous-groupes à partir du moment où un binôme exprimerait sa volonté d’arrêter l’action.

Le temps file mais il est l’heure de rentrer chez Louisa, la jeune allemande qui nous héberge pour le week-end. Autour d’un verre, c’est l’occasion d’essayer de comprendre un peu mieux le contexte politique allemand, la réputation des forces de l’ordre et de se dire au revoir. Car le lendemain, le réveil est déjà réglé à 5h du matin.

 

Le départ

Aux alentours de 9h du matin, plusieurs trains convergent vers le village de Buir à 50 km de Bonn et à 4 km de la mine. L’ambiance est toujours aussi festive. De gros systèmes sons permettent de se réchauffer avec quelques pas de danse. Le temps de prendre un café et quelques tartines et le cortège commence à se former. Notre groupe rejoint le doigt Doré. Après un premier barrage où chaque manifestant passe devant les forces de l’ordre à visage découvert, nous voilà au milieu de la campagne Allemande. Quelques centaines de mètres plus loin, le doigt Bleu se sépare du cortège afin d’aller manifester aux côtés des occupants de la forêt voisine de la mine qui sera bientôt engloutie par les excavatrices. Les doigts Orange, Rouge, Vert et Doré continuent leur chemin et finissent par se séparer afin de disperser les forces de police qui tenteraient de nous empêcher d’accéder à la mine. Bien visibles, quelques CRS nous accompagnent pendant cette petite marche à travers champs et forêts sans toutefois nous bloquer la route.

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Crédits : Ende Gelände

 

Arrivés au bord de la mine, il nous faut d’abord descendre un dénivelé d’une cinquantaine de mètres. Arrivé en bas à midi, c’est l’heure de sortir les sandwichs et d’admirer la vue plongeante sur la mine et au loin, sur la centrale qui crache des cohortes de fumée. Le doigt Vert nous accompagne. Pas de trace du doigt Rouge qui a du atteindre la mine par un autre  endroit. Peu de temps après, notre doigt se reforme et nous voilà reparti dans notre descente. La largeur gigantesque de la mine ne permet pas d’appréhender sa profondeur. A chaque instant, on a plus l’impression de se trouver dans une vallée que dans une mine creusée par l’homme.

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Crédits : Ende Gelände

 

L’intrusion dans la mine

Une annonce au mégaphone nous apprend qu’un cordon de CRS tente de nous barrer l’accès au reste de la mine un peu plus loin. Avant cela, il faudra franchir une tranchée de sable de 2m de profondeur et un talus de 4m de haut. Il semble que ces obstacles ont été construits par les équipes de RWE dans la nuit. A ce moment-là, la pression monte d’un cran puisqu’il va falloir passer à travers le dispositif de sécurité. Un haut-parleur de la police annonce en allemand qu’à partir de cette limite, notre action sera considérée comme un crime.

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Crédits : Ende Gelände

 

Lorsque l’ordre est donné au doigt de se disperser sur toute la longueur de la zone, la vingtaine de CRS ne peut que freiner quelques manifestants sans empêcher le reste du doigt de franchir l’obstacle. Les plus rapides arrivent rapidement en haut du talus et aident plusieurs personnes à monter. Une petite glissade plus tard, nous voilà de l’autre côté. A une vingtaine de mètres plus loin, se trouve le convoyeur : un tapis roulant qui habituellement achemine le lignite vers la centrale située à quelques kilomètres de là. Après une petite course, il nous faut maintenant ramper dans le sable pour passer de l’autre côté et atteindre une terrasse gigantesque creusée par l’excavatrice que nous cherchons à atteindre.

 

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Crédits : Ende Gelände

 

Notre doigt est le premier à atteindre cet objectif. Du haut plateau supérieur, résonnent les cris et les applaudissement du doigt Vert et du doigt Orange. Remis de nos émotions, nous commençons à marcher lentement vers l’excavatrice qui se trouve 500m plus loin. Au loin, on devine un cordon important de CRS qui nous sépare de la machine. Visière baissée, matraque au point, l’ambiance n’est plus à la balade champêtre. Des pick-up en file indienne et des barrières en fer entourent également le monstre d’acier qui domine la plaine.

 

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Crédits : Ende Gelände

 

Lentement, le doigt Doré se reforme au milieu du désert de sable. Au loin, tout le monde observe le doigt Vert qui semble bloqué par la Police en haut du talus. Il va falloir se débrouiller tout seul. Nous continuons d’avancer. Arrivés à quelques dizaines de mètres du cordon de CRS, nous formons alors une ligne sur toute la largeur de la terrasse afin d’éviter que les CRS ne nous encerclent. A cet instant, une clameur retentit du haut de la montagne. Le doigt Orange applaudit le doigt Vert qui vient à son tour de franchir le convoyeur et qui s’apprête à nous rejoindre.

Au sein du doigt Doré, beaucoup commencent à se demander s’il ne faut pas profiter de la situation pour tenter de franchir le cordon de sécurité qui nous fait face afin d’atteindre l’excavatrice. Décision est prise d’attendre le doigt Vert avant de passer à l’action. Une fois réunis, chaque groupe affinitaire enverra ses délégués au sein d’une plénière qui devra décider de la poursuite de l’action. Au début de l’après-midi, plusieurs options sont disponibles : rester là et occuper la zone, poursuivre notre descente dans la mine sur notre flanc droit complètement libre ou tenter de passer au travers du cordon de CRS pour atteindre l’excavatrice.

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Crédits : Ende Gelände

 

La fin de la récréation

A ce moment-là, je considère personnellement que l’objectif a été atteint. Par notre occupation des lieux, nous avons réussi à arrêter le fonctionnement de l’excavatrice et démontrer publiquement notre détermination. Toute l’opération s’est déroulée sans violence et je crains qu’une confrontation directe avec les CRS qui nous font face ne viennent entacher la journée. L’option de continuer plus bas est intéressante mais nous avons mis plusieurs heures à descendre dans la mine et la nuit ne va pas tarder à tomber. Toutes ces délibérations prennent du temps, car chaque délégué doit revenir au sein de son groupe pour faire part des discussions de la plénière, recueillir les avis du groupe et repartir en plénière. En attendant, les forces de police se renforcent et petit à petit nous faisons face à de plus en plus de CRS. Des véhicules blindés et des cavaliers ont rejoint la centaine de CRS qui nous fait face. Afin de gagner du temps, nous formons une chaine humaine géante en forme de cercle pour occuper le plus d’espace possible et éviter que nous nous fassions facilement encercler.

Le vent se lève et la pluie commence à tomber. Il semble qu’une partie des participants soit déterminée à descendre plus bas dans la mine alors que d’autres souhaitent s’arrêter là. La police profite de ce moment d’hésitation pour sonner la fin de la récréation. La police montée brise la chaîne humaine sur notre flanc droit et permet aux pick-up de nous barrer la route vers une descente plus profonde dans la mine. Sous pression, notre cercle se réduit et nous sommes bientôt entourés par des CRS de tous les côtés. La nouvelle chaîne humaine se place de dos à la Police afin de bien exprimer toute absence d’opposition ou de provocation. La charge des cavaliers a fait monter la pression à son paroxysme. Plusieurs participants ont reçu du gaz poivre lorsqu’ils tentaient de s’opposer à la police montée. Malgré tout, peu de violences sont à déplorer. Les rares participants qui ont tenté de repousser violemment la police ont été rapidement extraits de la mêlée et rappelés au conscensus d’action par les autres participants.

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Crédits : Ende Gelände

 

Game Over

Après ces quelques moments de tension, le calme revient accompagné d’un rayon de soleil bienvenu après l’averse glaciale que nous avons essuyé. On apprend rapidement que les organisateurs sont en train de négocier notre sortie du site avec la direction de la mine et les forces de l’ordre. La nuit commence à tomber, il fait froid et nous sommes plus d’un millier dans la mine. Afin de conserver notre pouvoir de négociation, nous tentons de résister calmement aux CRS qui cherchent à nous regrouper au maximum. Finalement, l’action prend fin lorsque plusieurs participants décident de s’asseoir. On sort les couvertures de survie car il commence à faire très froid et on attend de savoir à quelle sauce on va être mangé.

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Crédits : Ende Gelände

 

Les hauts parleurs de la Police annoncent que toute personne qui souhaite quitter les lieux en déclinant son identité sera raccompagnée à la gare par les autorités. Malgré 3 appels espacés d’une quinzaine de minutes, personne ne se décide à renier le consensus d’action. Finalement, nous apprenons que nous serons sortis de la mine en bus sans ennui à condition d’accepter d’être photographié. Personne n’aura d’amende ou ne sera obligé à déclarer son identité mais il faudra rentrer à pied. L’opération sera tout de même très longue car seulement 5 bus commencent à évacuer les participants via la rampe d’accès construite entre temps par les équipes de RWE. Cependant, la pression est retombée, tout le monde est détendu. Ici, on sort les jeux de cartes, là on finit son sandwich. Les CRS aussi sont redevenus des êtres humains qui sourient, rigolent ou baillent aux corneilles. On leur apporte à boire et à manger. Un participant fait le tour des CRS avec un sac en plastique pour récolter les déchets.

Aux alentours de 18h, mon groupe quitte la mine. Un dernier coup d’œil vers l’excavatrice qui est encore plus effrayante dans la nuit noire puis c’est parti pour une bonne marche jusqu’à la gare. Heureusement, un peu plus loin, un camp d’accueil nous attend avec des félicitations, des navettes et un repas chaud.

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Crédits : Edwarden

 

Le retour : tu vas rentrer chez toi et réfléchir à ton avenir

21h, après avoir salué nos amis, nous rejoignons nos covoitureurs qui nous attendent en gare de Cologne. Reporters pour la radio Fréquence Paris Plurielle, ils ont observé l’action du haut de la mine et réalise un reportage. Ils recueillent nos témoignages et nous permettent de revivre la journée d’un point de vue différent. Une fois dans la voiture, j’enrage contre la dépêche AFP qui prétend que seulement 200 personnes ont participé à l’action. La police parle de 2500 participants alors que les organisateurs annoncent 4500 personnes. Trop tard, l’information est déjà reprise par tous les médias français. C’est rageant mais bon, l’essentiel n’est pas là. La presse allemande a largement couvert l’événement avec beaucoup moins d’incompétence.

C’est alors l’heure de faire le bilan de cette journée. Au fond de moi, je ressens un profond sentiment d’apaisement et de bien-être. J’ai l’impression d’avoir été au bon endroit, au bon moment. Je ne regrette rien et je suis ravi que le consensus d’action ait été respecté. C’était crucial pour moi de démontrer que nous ne sommes pas là pour seulement manifester « Contre » mais bien « Pour » quelque chose. Tout débordement ou conséquences violentes auraient simplement décrédibilisé notre message. Au passage, la police allemande a montré qu’elle n’était pas uniquement le bras armé de l’état et qu’elle avait un rôle crucial à jouer dans le dialogue entre les motivations citoyennes et le pouvoir. Tout au long de la journée, j’ai senti que les forces de l’ordre avaient intégré le caractère non-violent de notre action et le message que nous souhaitions porter. En fait, j’ai le sentiment qu’ils étaient autant là pour nous protéger (nous empêcher de passer par les endroits les plus dangereux de la mine) que pour s’opposer entre nous et les installations minières. La quasi parité homme / femme au sein des CRS allemand est rassurante. Derrière la visière j’ai vu de vrais êtres humains. C’est quelque chose que je n’avais jamais observé dans les manifestations françaises souvent pressurisées par la violence qui s’expriment régulièrement chez les manifestants et la police.

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Crédits : Ende Gelände

La portée de nos actions était évidemment symbolique mais mine de rien (alerte jeu de mots), nous avons réussi à bloquer le fonctionnement de 3 excavatrices pendant toute une journée et nous espérons avoir alerté le grand public allemand sur ces enjeux. D’ailleurs, je ressens beaucoup d’énergie à l’idée que partout en Europe des jeunes portent les mêmes convictions que moi sur le changement climatique au point de participer à ce genre d’action. Sortir des beaux discours ou des débats techniques sur le développement durable et prendre part à une action concrète de terrain n’est pas désagréable non plus. Épuisé physiquement, je suis donc remonté à bloc pour un moment. Je ne sais pas si cette action fera une réelle différence, mais il fallait la faire. Et il faudra certainement en faire d’autres.

La prochaine fois, tu viens ?

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Crédits : Ende Gelände

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