L’élection de Donald Trump n’est pas forcément une mauvaise nouvelle pour le climat

Ce matin, toutes les délégations et les observateurs se sont réveillés avec un gros mal de crâne. Ce que tous les experts, sondages et la soupe médiatique habituelle nous annonçaient comme impossible est arrivé. Le fantasque Donald Trump risée du monde entier (sauf aux US apparemment) est devenu le 45e président des États-Unis et l’homme le plus puissant du monde. Dans l’article qui suit, je me concentrerai uniquement sur les possibles conséquences de cette élection sur le climat. Je ne traiterai pas de la personnalité de ce curieux personnage et de ses positions les plus extravagantes, racistes ou homophobes. Si vous voulez savoir mon avis général sur l’élection de Trump, je suis 100% aligné avec les propos de ce jeune homme.

A Marrakech, en tout cas, c’est panique à bord. Dans les couloirs de la zone bleue on s’évite du regard. Les premières conférences de presse sont annulées. Les réunions informelles des parties sont interdites aux observateurs et la réunion plénière prévue à 10h est désertée par tout le monde. Car l’urgence c’est d’analyser les conséquences de la nuit d’élection.

 

Donald Trump est une menace pour le changement climatique

Il l’a affirmé pendant sa campagne

Le climat n’a pas joué un grand rôle dans la campagne présidentielle américaine. Le sujet n’a pas été évoqué pendant les 3 débats télévisés. Sur la question climatique, Donald s’est d’abord construit une petite réputation grâce à un tweet daté de Novembre 2012 :

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Soutenu par la majorité des lobbies pétroliers, notre ami considérerait donc le changement climatique comme un complot fomenté par la Chine pour affaiblir l’économie américaine. Culotté quand on sait que le changement climatique (et la responsabilité humaine dans ce bouleversement) fait consensus au sein de la communauté scientifique.

Plus récemment, Donald a annoncé pendant sa campagne, qu’il envisageait d’annuler la signature de l’Accord de Paris des Etats Unis. Selon lui, cet accord va « tuer l’emploi et le commerce », ajoutant que « cet accord donne à des bureaucrates étrangers le contrôle sur la façon et la quantité d’énergie que nous pouvons consommer dans notre pays. Pas question ! ».

Peut-il annuler la signature de l’Accord de Paris ?

En théorie, il a le pouvoir de le faire. En effet, Barack Obama n’a pas pris le risque de faire passer l’accord devant le congrès pour ratification car la majorité politique est détenue par les Républicains dont certains (plus d’un tiers) sont des climato-sceptiques notoires. A partir de là, Trump n’aura pas besoin de passer devant le congrès pour annuler la signature de l’Accord de Paris. Il devra seulement attendre 4 ans (dont un an de préavis) avant de le remettre en cause conformément à la procédure internationale.

Que peut-il se passer si les Etats Unis se retirent de l’Accord de Paris ?

En cas de sortie des Etats-Unis de l’accord de Paris, le pire est à craindre. Le changement climatique a mis beaucoup de temps à être pris en considération par la communauté internationale en partie car l’administration Bush a longtemps paralysé les négociations. Les États-Unis restent la première économie du monde et vient juste de perdre sa première place en termes d’émissions de gaz à effet de serre au profit de la Chine. Il est difficile d’envisager une concrète action politique mondiale sans les États-Unis. D’ailleurs, le protocole de Kyoto, jamais reconnu par les américains avait été un énorme échec car le blocage de l’administration Bush avait favorisé la sortie du Canada, du Japon et de la Russie. La réussite de Paris peut être en grande partie attribuée à la reconnaissance de l’importance du changement climatique par l’administration Obama et aux engagements bilatéraux entre la Chine et les Etats Unis peu avant la COP21 à Paris.

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Une autre menace est donc la remise en question de ces engagements bilatéraux. Si la Chine et les États-Unis rétrogradent sur le climat, il est prévisible que de nombreux pays emboitent le pas. Alors que le changement climatique concerne le destin commun de l’humanité, la fin du consensus sur le climat ouvre la porte au retour des individualismes économiques et à l’accélération du « Business As Usual » qui nous mène à la catastrophe.

En conséquence, une sortie des États-Unis de l’accord de Paris risque de fortement déstabiliser le consensus acquis l’an dernier et de nous faire perdre de précieuses années dans la lutte contre le changement climatique. Rappelons que l’ordre du jour n’est pas à la marche arrière. L’urgence climatique est déjà devant nous depuis des années et la communauté internationale devrait se concentrer sur comment rattraper son retard (voir mon article sur les enjeux de cette COP22).

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Autres scénarios du pire et gel des négociations

D’autres conséquences pour le climat sont à prévoir suite à l’élection de Donald Trump. L’administration Obama a mené ces dernières années une politique énergétique volontariste (développement des énergies renouvelables, passage du charbon au gaz…). Dans sa campagne, Trump s’est montré un peu moins ouvert sur la question énergétique déclarant que « le gouvernement fédéral doit se tenir à l’écart du secteur de l’énergie ». De gros changement ont aussi été observés dans l’opinion publique américaine de moins en moins climato-sceptique grâce aux efforts de l’administration Obama. Sommes-nous sur le point d’observer l’effet inverse si le président des Etats-Unis continue de remettre en cause le changement climatique ?

Donald Trump a aussi annoncé sa volonté de relancer le projet d’oléoduc Keystone XL à condition que des avantages plus importants soient accordés aux Etats-Unis par rapport au projet initial. Le récent développement des gaz de schiste aux USA ne sera sans doute pas remis en cause par la nouvelle administration : « Si nous ne développons pas la fracturation hydraulique, nous resterons dépendants du Moyen-Orient pour notre énergie ».

Cette nouvelle administration risque également de remettre en cause les récents progrès environnementaux enclenchés par Barack Obama : « Les régulations qui ferment des centaines de centrales à charbon et bloquent la construction de nouvelles, quelle stupidité ! ». On peut donc s’attendre à une hausse des émissions de gaz a effet de serre si la politique du charbon est relancée aux USA.

Enfin, même si Donald Trump n’annule pas la signature de l’Accord de Paris, il y a un risque que les négociations n’avancent plus dans les années à venir. Rappelons que toute décision prise dans le cadre des Nations Unies se fait de manière consensuelle. Un seul pays a donc les moyens de paralyser toutes les négociations. Au-delà des avancées politiques, l’administration Trump risque aussi d’annuler ses financements au fond vert et son soutien financier au déroulement des négociations.

A première vue, on a donc de quoi s’inquiéter. Cependant, je vais essayer de chercher un peu d’optimisme dans tout cela.

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Pourquoi l’élection de Donald Trump n’est pas forcément une mauvaise nouvelle pour le climat?

Il ne pourra pas aller contre le sens de l’Histoire

J’ai pu assister à la première conférence de presse de la journée organisée conjointement par WWF China et le US Climate Change Network qui fédèrent les ONG américaines présentes à la COP. La salle était pleine et la tension palpable. La société civile internationale a affiché un visage confiant et uni y compris après le résultat de l’élection d’hier.  Les intervenants ont déclaré que bien que Trump était devenu un des hommes les plus puissants de la planète il ne pourra pas changer les lois de la physique, la menace qui nous fait face et l’incroyable élan visible des acteurs de la société civile, politique et économique qui se sont tous mobilisés sur le climat durant ses dernières années. Certains ont même confié qu’ils considéraient que Donald Trump pouvait grandir dans son nouveau rôle de président et évoluer positivement sur la question climatique au-delà de ses intérêts électoraux pendant la campagne.

Ni contre l’avis de l’armée américaine

Donald Trump ne pourra pas non plus ignorer la pression des généraux de l’armée américaine qui considèrent aujourd’hui que le changement climatique est la menace la plus importante qui pèse aujourd’hui sur la sécurité des États-Unis. Juste avant l’élection, Barack Obama avait ainsi expliqué qu’une fois en fonction, un président n’a pas tous les pouvoirs et ne peut pas aller contre le sens de l’Histoire. Par exemple, lui-même a changé d’avis sur le mariage homosexuel au cours de son mandat.

C’est avant tout un Business Man

Donald Trump est allé à bonne école, en bon business man (qui pèse 4 milliards de dollars) il sait reconnaître des sources de profit. Or aujourd’hui la lutte contre le changement climatique a enclenché la vitesse supérieure grâce aux acteurs économiques. Les énergies renouvelables sont devenues plus compétitives que les énergies fossiles et on a montré que lutter contre les conséquences du changement climatique coûtera plus cher que les investissements permettant de limiter ce bouleversement.

Un autre allié du climat est l’ego surdimensionné de Donald Trump. Dans les affaires, votre image est plus importante que le reste. Donald Trump prendra t-il le risque de rester dans l’Histoire comme celui qui a saboté le destin de toutes les générations futures ?

Le programme de Trump : un allié du climat ?

D’autres rayons de soleil sont à chercher du côté du programme de Donald Trump. D’un point de vu Européen, Donald Trump est un pantin décervelé qui multiplie les phrases chocs et on aurait confié les codes nucléaires à une personne qui n’a pas le droit d’utiliser son compte twitter. Mais qui s’est intéressé un petit peu au programme de Donald Trump ? Dans les faits, beaucoup de ses promesses de campagne peuvent s’avérer positives par rapport au changement climatique car elles remettent en cause l’ordre économique mondial. Est-ce la raison pour laquelle nous en avons si peu entendu parler ?

Donald Trump s’est fait élire sur la remise en question du néolibéralisme et sur les cendres de la crise économique qui nous frappe depuis maintenant 10 ans. C’est un fervent opposant au libre-échange. Avec lui, le TAFTA (ou TTIP), l’accord de libre-échange entre les Etats Unis et l’Europe est enterré. Il risque aussi de remettre en cause celui passé entre les USA et le Canada. C’est un fervent défenseur du protectionnisme économique. Opposé à la globalisation de l’économie, Donald Trump semble aussi favorable aux circuits courts et propose d’augmenter de 40% les taxes sur les produits importés et de revoir les accords passés dans le cadre de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC).

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C’est aussi en remettant en cause l’organisation politico-économique dominante que Trump a séduit les américains. C’est un ennemi de l’establishment américain et des média traditionnels qu’ils considèrent comme corrompus. Les mêmes ont longtemps fait la part belle au climato-scepticisme aux USA.

C’est aussi un opposant officiel de la haute finance. Il propose par exemple d’augmenter drastiquement les taxes pour les traders ou les propriétaires de fonds spéculatifs. Il promet le rétablissement de la loi Glass-Steagall (votée en 1933 pendant la Dépression et abrogée en 1999 par William Clinton), qui séparait la banque traditionnelle de la banque d’affaires pour éviter que celle-ci puisse mettre en péril l’épargne populaire par des investissements à haut risque. C’est cette séparation bancaire qui nous a manqué en 2008 et qui a forcé les Etats Européens à renflouer les banques à grand coup d’argent public.

Concernant, sa politique internationale, Trump a annoncé sa volonté de calmer l’interventionnisme américain et de rechercher des consensus avec la Russie et la Chine. Ce rapprochement peut-il aussi aller dans le sens de nouveaux accords collatéraux sur le climat ?

Ce genre de propositions ouvre la porte à une petite révolution dans l’ordre économique mondial dominé par le libéralisme depuis les années 70. Evidemment, ce ne sont que des promesses politiques qui n’engagent que la moitié des américains qui ont hier voté pour Donald Trump. L’avenir nous dira si derrière toutes ces annonces et propositions, il y aura un véritable changement politique favorable, ou pas, au changement climatique.

Et Hillary Clinton, c’était mieux ?

Regardons maintenant du côté de son ancienne rivale. Une élection d’Hillary Clinton aurait-elle été plus bénéfique pour la lutte contre le changement climatique ? A priori, le camp Clinton n’avait pas prévu de remettre en cause l’Accord de Paris. Une élection d’Hillary était donc moins risquée pour le climat et une majorité de la mobilisation internationale soutenait les démocrates, historiquement plus progressistes sur cette question.

Alors que Trump se présente comme le candidat des lobbies pétroliers américains, le camp Clinton se distingue par son soutien de la part des monarchies pétrolières du Moyen Orient, celles-là mêmes qui bloquent les négociations depuis des années. Difficile donc de départager les deux candidats sur ce point.

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Par contre, Clinton se distingue de Trump sur son soutien pour et par la finance de Wall-Street et des politiques économiques qui nous ont conduites au changement climatique même si quelques voix se sont élevées contres ses prises de positions pendant la campagne. Elle représente cette classe dirigeante qui domine le monde depuis un demi siècle et qui nous a conduit devant cette impasse économique, démocratique et écologique à laquelle nous faisons face aujourd’hui.  Clinton défend le libéralisme économique et la dérégulation en contradiction avec l’urgence climatique.  En fait, Bernie Sanders, l’opposant de Clinton à la primaire démocrate aurait fait un bien meilleur candidat au regard de la question climatique.

Sur les questions environnementales, la balance penche cette fois-ci en faveur de Clinton qui présente un programme beaucoup plus volontariste en matière de développement des énergies renouvelables et de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Elle proposait d’installer suffisamment de panneaux solaires pour rendre tous les foyers américains autonomes d’ici 2020 et de conclure de nouveaux accord bilatéraux de réduction de gaz à effet de serre, avec le Canada notamment.

Comme pour Trump, il est difficile de se faire un avis sur la base de promesses électorales…

Vers un changement de l’équilibre des pouvoirs au sein de la CCNUCC ?

Quoi qu’il en soit, au sujet des négociations climatiques, il risque d’y avoir un avant et un après Trump. C’est peut-être le moment de réfléchir à une évolution de la lutte contre le changement climatique. Depuis la création de la CCNUCC, les délégations politiques sont au centre des débats. Pourtant, c’est l’intégration de la société civile dans les discussions à partir de Lima (COP20) qui a fait rapidement avancer les choses. La mobilisation de la société civile et économique est en grande partie responsable de la réussite de l’Accord de Paris. A Marrakech, on s’attend à ce que la majorité des avancées viennent des entreprises, des villes et des citoyens qui se mobilisent déjà pour adapter nos modes de vie au changement climatique sans attendre l’aval des états. Car le processus de négociation onusien est par définition long et difficile car toute avancée doit être validée de façon consensuelle par toutes les parties. Un gel des négociations officielles de la nouvelle administration Trump ne doit pas sonner la fin de la lutte contre le changement climatique. Les nouvelles élections américaines sont prévues pour 2021, après l’entrée en vigueur de l’Accord de Paris alors que les enjeux de la réalité scientifique du changement climatique nécessite que l’ambition de l’accord soit relevée d’ici là.

 La mobilisation de la société civile est essentielle

Ainsi, dans les jours et les années qui viennent, la mobilisation civile est essentielle pour avancer sur la question du climat. Tout d’abord pour que le climat devienne une préoccupation de tous les citoyens du monde afin que nos hommes politiques (y compris le nouveau président des États-Unis) s’emparent de cet enjeu. Mais ce n’est pas tout.

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Hier, avant les résultats (ou en prévision ?) de l’élection, plusieurs figures emblématiques de la lutte contre le changement climatique comme Manuel Pulgar Vidal (Président COP20 en qualité de Ministre de l’environnement du Pérou et nouveau chef climat au WWF), Christiana Figueres (ancienne secrétaire exécutive de la CCNUCC) et Laurence Tubiana (ambassadrice du Climat auprès de l’ONU) s’étaient réunies pour déclarer leur volonté de renforcer le rôle de la société civile dans les négociations. Maintenant que les organes politiques ont enclenché le mouvement de la lutte contre le changement climatique avec Paris, il semblerait qu’il est temps pour eux de se retirer du devant de la scène et laisser la place au développement et au renforcement des actions de la société civile. Partout dans le monde, on semble observer un déplacement de l’équilibre des pouvoirs entre les états d’une part, de plus en plus paralysés par la montée du populisme démocratique et d’autre part les citoyens, les villes et les entreprises qui sont les réels acteurs du changement en cours et du monde qui vient.

Une réforme de la CCNUCC serait-elle envisageable ? En tout cas, au regard de l’actualité elle semble souhaitable.

Pensez-vous que l’élection de Trump est une mauvaise ou une bonne nouvelle pour le climat ?

Et pour les plus dépressifs d’entre vous depuis ce matin, sachez au moins vous réjouir d’une chose : Maître Gims arrête la musique.

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