Il ne neige plus à Noël, économie et climat : le syndrome du Titanic.

 

 

Différence entre météo et climat

 

A la sortie de la COP21, le réchauffement climatique est un raccourci bienvenu pour expliquer l’absence de neige à Noël ou plus généralement les températures anormalement douces de ces dernières semaines. Mais comme ne tarderont pas à le faire remarquer les courageux climato-sceptiques qui oseraient sortir du bois, il existe une différence très importante entre la météo et le climat.

La météo est un phénomène local et instantané là où le climat est en fait une moyenne globale sur toute la planète (une intégrale pour les puristes) sur plusieurs dizaines d’années de l’ensemble de ces phénomènes locaux. En d’autres termes : cette année, l’absence de neige à Noël n’est pas forcément liée au changement climatique. Il a pu exister d’autres anomalies de ce type dans le passé en l’absence du changement climatique. Par contre, le changement climatique que nous subissons aura pour conséquence de multiplier ce genre d’anomalies et (si nous ne faisons rien) de faire que ces situations exceptionnelles deviennent la norme. De la même manière, les épisodes caniculaires comme en 2003 ont déjà existé par le passé : c’est un phénomène météorologique. Par contre, ces épisodes sont amenés à arriver bien plus souvent qu’auparavant : ça c’est un phénomène climatique.

Dans le cas de cette douceur hivernale que nous traversons, vous me direz que ce n’est pas plus mal de ne pas se les geler tout l’hiver et que bientôt on pourra remplacer le traditionnel chocolat chaud d’hiver par ce bon vieux pastis. Le problème avec cette vision des choses c’est qu’on occulte un des impacts les plus importants du changement climatique : l’impact économique. La crise que vont traverser nos stations de ski n’est qu’une toute petite partie de l’iceberg climatique qui se trouve sur la route du Titanic de nos économies de pays développés. Je reviendrai sur les impacts économiques du changement climatique à la fin de cet article mais analysons d’abord la situation de nos fameuses stations de ski :

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 Dessin de Mix et Remix, Suisse.

2°C de réchauffement au niveau mondial = la fin du ski tel que nous le connaissons ?

 

En 2011, Météo France a publié un rapport concernant les liens entre l’enneigement de nos sommets et le changement climatique.

« Avec l’augmentation de la température de l’air, conséquence du changement climatique, l’épaisseur de neige au sol, l’étendue des surfaces enneigées et la durée d’enneigement sont condamnées à diminuer. Au-delà de la période hivernale, cette évolution pourrait aussi avoir des répercussions sur la ressource en eau en été. La couverture neigeuse en montagne a une fonction de « château d’eau » : en fondant durant l’été, quand les précipitations se font plus rares et la demande plus importante, elle maintient le débit des cours d’eau. »

Le réchauffement climatique concerne évidemment toute la planète. Cependant, certaines zones sont plus touchées que d’autres et le réchauffement actuel de +1°C (ou l’objectif politique de 2°C) ne représente qu’une moyenne à l’échelle du globe. Cela signifie qu’à certains endroits, ce réchauffement sera plus important. A ce titre, les régions de montagne (ou les pôles) sont plus sensibles que les plaines au changement climatique.

« À l’horizon 2080 et avec le scénario le plus pessimiste, les simulations prédisent une baisse de la durée de l’enneigement sur les Alpes de 60 à 85 % selon les massifs (les massifs du nord des Alpes étant les moins affectés) à basse altitude et de 40 à 75 % à moyenne altitude. »

Source CNRM

En d’autres termes, les scientifiques estiment que les stations situées en dessous de 1800m sont d’ores et déjà condamnées.

« Avec des quantités de neige en baisse de 30% sur 30 ans dans les Alpes, l’avenir des petites stations est particulièrement incertain » d’après l’Observatoire National sur les Effets du Changement Climatique (ONERC).

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Enneigement artificiel des pistes de ski de l’Alpe d’Huez. © Météo-France/Gilbert Guyomarc’h.

La crise que traversent nos stations de ski n’est qu’un exemple parmi d’autres des impacts économiques liés au changement climatique (bientôt on parlera des dérèglements de notre agriculture, des déplacements de vignobles ou des stations balnéaires touchées par les canicules). Par exemple, dans les Alpes du sud le secteur du ski représente  15 000 emplois et 800 millions d’euros de recette chaque année.

Un difficile changement de modèle économique :

Mais face aux nombreux cris d’alarmes des experts et des scientifiques, nos stations préférées – tout comme le reste de l’humanité – peine à réinventer leur mode de fonctionnement pour s’adapter au changement climatique ou atténuer leur impact écologique. Pire, les parades contre le manque récurrent de neige ne font qu’augmenter la quantité de gaz à effet de serre générée dans nos stations de ski. En Suisse, les stations utilisent 40 % de neige artificielle aujourd’hui contre 5% il y a 20 ans.  En France, certaines stations n’hésitent pas à organiser des rotations d’hélicoptères pour déplacer la précieuse poudre blanche.

« C’est un geste qui montre que l’on va droit dans le mur en voulant offrir toujours les mêmes loisirs aux touristes pour consommer. L’héliportage dépense de l’argent et pollue », estime Hervé Billard, responsable commission neige à la Fédération Rhône-Alpes de protection de la nature.

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A Grenoble, lors des pics de pollution, un plan de limitation des transports routiers est prévu mais il s’évanouit lors des week-ends pour nous permettre de nous rendre dans nos stations de ski préférées. L’iceberg est en vue depuis des années mais faute de corriger le cap ou de rajouter des canots de sauvetage, c’est comme si nous poussions les machines à vapeur un peu plus pour avancer la date du naufrage.

Par ces exemples, on voit qu’il est parfois difficile pour tous ces acteurs traditionnels de saisir l’ampleur des bouleversements à venir. Beaucoup parient sur de meilleures années à venir pour contrebalancer la saison en cours qui sera d’ores et déjà déficitaire. Mais pourtant, le discours scientifique ne prévoit pas une amélioration dans les années à venir : bien au contraire ! Notre modèle économique serait-il insubmersible comme l’opinion publique de 1912 avait décrit le titan maritime de la White Star Line ?

on Maiden Voyage

La fin du ski dans les plus petites stations est difficilement avouable dans un secteur où les investissements qui ont besoin d’être rentabilisés s’étalent sur plusieurs dizaines d’années. Qui voudra sauver un secteur en crise dans quelques années alors que celui-ci n’a pas su agir pour s’adapter quand il en était encore temps ?

Les liens entre économie et changement climatique :

Au sein du GIEC (Groupe d’experts Intergouvernemental sur l’Evolution du Climat), c’est le groupe II qui étudie les impacts, la vulnérabilité et l’adaptation au changement climatique qui synthétise le volet économique de notre connaissance des impacts du changement climatique sur notre économie.

En 2006, l’ancien économiste en chef de la Banque Mondiale, Nicholas Stern publie un rapport de 700 pages sur le coût de l’inaction face au changement climatique commandé par le gouvernement britanique (Stern Review on the Economics of Climate Change). Ses conclusions sont alors relativement simples : le coût de l’inaction dépasse largement celui de la lutte contre le changement climatique. Selon lui, en 2006, seulement 1% du PIB mondial aurait suffi pour lutter contre le changement climatique alors qu’à terme, celui-ci menacerait plus de 20% du PIB planétaire. Ainsi, nos économies, nos entreprises et nos états auraient tout à gagner à prendre en compte le changement climatique dans leurs politiques économiques. Cependant, deux ans plus tard, Stern a reconnu avoir  « gravement sous-estimé » l’ampleur des risques économiques liés au changement climatique.

En 2014, Lord Stern a publié un nouveau rapport rédigé par la commission Economie et Climat (Un meilleur climat, une meilleure croissance : la nouvelle économie climatique).

Ce rapport, parfois contesté, est relativement optimiste dans la mesure où il affirme que l’objectif de 2°C est encore atteignable sans révolutionner notre modèle économique (sans remettre en cause la mondialisation et le libre-échange). Il préconise notamment l’élimination des 463 milliards d’euros de subventions versées tous les ans aux énergies fossiles (contre 77 milliards pour les énergies renouvelables).

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Source AIE

Quoi qu’il en soit, Nicholas Stern et son équipe affirment qu’il nous reste 15 ans au maximum pour agir contre le changement climatique en adaptant nos investissements économiques pour réduire les émissions de gaz à effet de serre. Faute de quoi, tel Edward John Smith, capitaine du Titanic, nous sommes condamnés à voir se rapprocher d’année en année le fameux iceberg.

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En tout cas, rassurez-vous, les déboires de nos petites stations de ski Françaises sont bien loin d’inquiéter certains comme l’ancien émir du Qatar qui, alors que je termine d’écrire cet article, vient de se faire rapatrier en Suisse après s’être cassé une jambe sur les pistes de ski Marocaines. Le vénérable cheikh Hamad ben Khalifa Al-Thani n’a pas oublié de penser lui aussi au réchauffement climatique puisque seulement 9 avions ont été nécessaires pour son rapatriement

Lors du naufrage du Titanic, alors que le navire manquait cruellement de canots de sauvetage pour sauver tout le monde, 60% des passagers de première classe survécurent contre seulement 25% des passagers de troisième classe

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