Vendredi 4 Décembre J-7 Mi-parcours, 25% de l’objectif. Qui a 30 000 milliards de dollars à me dépanne ?

La présidence Française a décidément choisi d’innover. Au mois de Mai, les entreprises étaient invitées à Paris pour exprimer leur vision vis-à-vis du climat au Business Climate Submit. La société civile dispose de son espace réservé avec Générations Climat. Cette année, chaque état devait publier avant la COP ses engagements en matière de consommation d’énergie, de part du renouvelable et d’émissions de gaz à effet de serre. Depuis Lima (COP20),« l’Agenda des solutions » tente de rassembler l’ensemble des acteurs (ONG, entreprises, collectivités, citoyens…) pour trouver des solutions concrètes au changement climatique.

Evidemment, toutes ses nouveautés au programme habituel des négociations climatiques n’est pas exclusivement à l’initiative de la France mais la Mairie de Paris a, elle aussi, décidé d’innover. L’actualité du jour, c’est le sommet des Maires. Plus de 700 Maires du monde entier (représentant 650 millions de citoyens) s’étaient donnés rendez-vous à l’Hôtel de Ville de Paris pour montrer que les Villes pouvaient devenir le premier rempart contre le changement climatique. Aujourd’hui, les villes accueillent un être humain sur deux sur Terre et génèrent 70% des émissions de gaz à effet de serre. Plusieurs annonces fortes ont rythmé la journée. On retiendra celles de 100% d’énergies renouvelables dans les villes en 2050 et une réduction de 3,7 gigatonnes des émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030.


Mais revenons aux négociations. Aujourd’hui se terminait la première semaine de la COP21 soit officiellement la période pendant laquelle les négociateurs devaient se mettre d’accord sur un projet de texte à proposer aux états du monde entier. A partir de demain, les ministres de chaque délégation prennent le relais pour régler les derniers détails. A mi-parcours, le texte compte encore plus d’une centaine d’options différentes non tranchées et quelques 750 propositions entre crochets.

Laurent Fabius a d’ailleurs déclaré à la mi-journée : « Le compte n’y est pas encore ». Cependant, jusqu’à maintenant, la présidence française affiche une sérénité déconcertante quant à la possibilité d’arriver à un accord d’ici la fin de la semaine prochaine.

Les négociateurs ont d’ailleurs publié deux projets de texte aujourd’hui.

  • Le projet officiel de 48 pages (7 pages de moins que le précédent) compile l’ensemble des articles aboutis tels que les ont validés les différentes délégations.

  • Un deuxième texte non officiel a également été proposé. Moins consensuel, il a pour but de tenter des rapprochements sur certains points de désaccords.

Les ONG Françaises ont tenu une conférence de presse en fin de journée pour faire le point sur l’avancée des négociations. La Fondation Nicolas Hulot a affiché elle aussi un peu d’optimisme :

« Nous ne sommes pas du tout dans le scénario de Copenhague, où un second texte, complètement déconnecté du premier, avait été rédigé  “en secret” par quelques-uns, en dehors des salles de négociation. A Paris, il y a pour l’instant deux versions du projet de texte, mais servant à préparer le même accord au final car les propositions de compromis acceptées seront réintégrées dans le projet initial, en toute transparence. »

Par contre, les différentes ONG soulignent que deux points de blocage essentiels sont toujours au centre de tous les débats :

  • La question des financements de l’atténuation et de l’adaptation au changement climatique n’avance pas beaucoup. A Durban, les pays riches s’étaient engagés à verser 100 milliards de dollars par an aux pays du Sud d’ici 2020 et à revoir à la hausse cette enveloppe à partir de 2020. Pour l’instant, en cumulant les engagements individuels de chaque état, seule une petite fraction de cet argent est sur la table. Beaucoup de pays riches attendent des pays émergents qu’ils participent à ce « fond vert ».

  • Le deuxième point de blocage est celui qui conditionne le premier. Il s’agit de la différenciation des responsabilités vis-à-vis du changement climatique. Toutes les délégations sont d’accords sur le fait que l’accord de Paris doit être universel (et concerner tous les états). Par contre, les pays pauvres attendent des pays riches qu’ils reconnaissent une majeure partie des responsabilités vis-à-vis des causes du changement climatique. Sauf que ce genre de proposition peut s’avérer très dangereux en matière de droit international.

Un troisième point de blocage commence également à apparaitre : il s’agit de la question cruciale de la révision périodique à la hausse des engagements des états après l’accord de Paris. L’idée est de pouvoir revenir régulièrement (idéalement tous les 5 ans) sur les objectifs de réductions d’émissions si le seuil de 2°C menace d’être atteint. La directrice de l’Iddri (Institut du Développement Durable et des Relations Internationales) a déclaré jeudi que ce point suscitait  « une vision de plus en plus partagée, mais qui ne se reflète pas pour l’instant dans le texte ».

D’après le Climate Action Network, à mi-parcours, seulement 25% des objectifs de cette COP21 sont remplis.

D’autres enjeux d’importance sont encore en suspens. Plusieurs experts parlent d’un match de « Poker menteur ». Par exemple, plus de 100 pays (France, Allemagne, et beaucoup de pays pauvres) soutiennent officiellement que l’accord doit permettre une trajectoire des émissions de gaz à effet de serre en dessous de 1,5°C contrairement au seuil de 2°C arraché à Copenhague en 2009. A ce jour, seule l’Arabie Saoudite s’est officiellement déclarée contre cette réévaluation des ambitions de l’accord. Mais elle serait soutenue par d’autres pays comme l’Inde ou le Venezuela.

Il me parait intéressant ici de comprendre d’où vient ce seuil de 2°C. Vous allez voir, c’est loin d’être une question de doigt mouillé. Comme quelques images valent mieux qu’un long discours je vous laisse avec nos amis du Monde :

Au-delà de 2°C, les scientifiques s’alarment qu’un ensemble de phénomènes conjoints n’aggrave le changement climatique et que nous rentrions dans un processus d’emballement incontrôlable. Sur ce point, on peut citer la fonte du permafrost (des terres gelées Sibérie) gorgé de méthane (un gaz à effet de serre beaucoup plus puissant que le CO2). Les capacités de stockage naturelles du CO2 de la planète qui limitent pour l’instant nos émissions « nettes » de gaz à effet de serre, liées notamment à l’océan sont aussi remises en question au-dessus de 2°C. Enfin, la fonte des glaces en arctique augmente la quantité d’énergie (donc de chaleur) reçue par la Terre puisqu’auparavant, cette couche de glace opérait comme une couche réflectrice protectrice.

En gros imaginez votre casserole de pâtes qui déborde déjà, mettez le couvercle et rallumez le feu.

Au-delà de ces phénomènes appelés « boucles de rétroaction positives », une augmentation de 2°C par rapport à l’ère industrielle, c’est plusieurs pays entiers qui disparaissent. Au niveau global, c’est aussi une intensification des événements météorologiques extrêmes, une augmentation du stress autour des ressources en eau et une dernière inconnue concernant la capacité de la biodiversité (qui traverse déjà une grosse crise d’extinction) à pouvoir s’adapter.

Une fois qu’on s’est fixé ce seuil de 2°C comme la limite à ne pas dépasser, que fait-t-on ? En pratique cela signifie qu’il nous faut réduire nos émissions de gaz à effet de serre de 70 % d’ici à 2050 et que la neutralité carbone (zéro émission) doit être atteinte au plus tard à la fin du siècle. Ça c’est la façon officielle de présenter les choses. Les choses marrantes commencent quand on essaye de traduire ça dans les faits. Les émissions de gaz à effet de serre proviennent principalement de la combustion des énergies fossiles (pétrole, charbon, gaz). Depuis des années, les experts estiment que pour respecter ce seuil de 2°C, il faudrait laisser dans le sol 80% des réserves d’énergies fossiles. Le problème c’est que ces réserves représentent 30 000 milliards de dollars ($30 000 000 000 000 !) d’actifs financiers (à comparer avec les 2000 milliards du PIB de la France, 6e économie mondiale). Pour trouver ces réserves, des entreprises énergétiques, des banques, des assurances ont investi dans la R&D ou l’exploration et attendent de pouvoir rentabiliser cet investissement en vendant leur précieux butin. A partir de là deux possibilités :

  • On propose gentiment aux entreprises les plus puissantes de la planète de fermer boutique et on provoque une crise boursière qui renverra la crise de 2008 au rang d’un petit grain de sable ;

  • On trouve une manière de payer tous les pays et les entreprises qui possèdent ses réserves pour qu’ils ne les dépensent pas.

Voyez déjà comment il est difficile d’obtenir un consensus quand il s’agit de mettre 100 milliards de dollars sur la table des négociations (petite comparaison que j’aime bien, la guerre en Irak a couté 500 milliards de dollars par an aux finances américaines.) ! Ce qui est très drôle (ou inquiétant) dans cette histoire c’est que tout le monde est au courant de ce paradigme mais qu’à l’heure où nous parlons, le sujet est encore très loin d’entrer à l’ordre du jour d’une réunion officielle.

 La COP c’est un peu comme ton DM de maths du lycée. La veille, t’as toujours pas commencé à lire le sujet alors que ça fait 2 mois qu’on te l’a donné.

Pour finir, ce week-end, c’est le Village mondial des alternatives à Montreuil. Amis parisiens, n’hésitez pas à vous y rendre. La société civile du monde entier s’y est donné rendez-vous ! Au menu, conférences, ateliers, débats, marché paysan et concerts !

A demain !
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