Croissance démographique : combien d’invités au grand buffet de l’humanité ?

Imaginez donc un grand buffet. Aussi délicieux que soient les mets disposés sur la table, ceux-ci ne sont malheureusement disponibles qu’en quantité limitée. Si au milieu du repas, inquiet qu’il n’y ai bientôt plus grand-chose à manger, vous décidiez d’agir pour prolonger encore ce fabuleux moment seulement deux solutions s’offre à vous :

  • Sensibiliser vos invités et les convaincre de manger chacun un petit peu moins (réduire les taux de consommation par individu)
  • Renvoyer chez eux une bonne partie des invités de façon à ce que les invités restant puissent continuer de se remplir la panse au même rythme (réduire le nombre d’individus total)

Première remarque, qui tombe sous le sens : à partir du moment où votre buffet n’est pas composé de ressources renouvelables, aucune de ces deux solutions ne vous permettra autre chose que de gagner du temps

Deuxième remarque qui fera l’objet de cet article : il est génétiquementculturellement, sociologiquement et économiquement très difficile voire inconcevable pour l’être humain de réduire le nombre d’invités au buffet. La problématique est tellement épineuse qu’elle est pour ainsi dire inexistante dans le débat politique aujourd’hui. Vous l’aurez compris, le buffet décrit ci-dessous représente notre existence, remplacez petits fours et cupcakes par du pétrole, du charbon, du gaz (certes c’est moins ragoutant), des métaux et des sols cultivables et vous aurez une bonne synthèse de la situation actuelle.

Un des premiers économistes modernes, Thomas Malthus  est connu pour avoir été le premier à pointer du doigt qu’une population croit de manière géométrique ou exponentielle (1, 2, 4, 16, 32…) alors que les ressources exploitables par les individus n’augmentent que de manière arithmétique (1, 2, 3, 4…). Depuis, la remise en question de la croissance démographique a pris le nom de « Malthusianisme » et jouit d’une connotation négative.

Thomas_Robert_Malthus.jpg
Thomas Malthus 1776 – 1834

Essayons de réfléchir aux raisons d’une telle opposition à la limitation de la croissance démographique :

D’un point de vue génétique, on comprend que des individus génétiquement moins enclins à se reproduire (et donc à moins favoriser la croissance démographique) n’ont pas pu s’imposer au regard de la sélection naturelle. Aujourd’hui, il en résulte que c’est dans l’héritage génétique naturel de l’être humain de se reproduire et de favoriser la croissance démographique. Pour cette raison, il peut y avoir des raisons non culturelles ou économiques ou sociales à notre volonté de nous reproduire. Certaines pistes scientifiques liées aux hormones parleraient par exemple d’une « horloge biologique » qui programmerait génétiquement les désirs de procréation des individus. Il apparaît alors que remettre en question la croissance démographique reviendrait à aller à l’encontre de notre héritage génétique.

D’un point de vue culturel et historique, l’être humain ne s’est que très rarement retrouvé dans un environnement contraint en terme de ressources et d’espaces (voir plus loin l’exemple de certaines îles du pacifique). De la même manière que l’évolution et la sélection naturelle ont permis à certains espèces de développer des caractéristiques physiques adaptées à leur environnement, on peut, par analogie imaginer qu’une certaine « sélection culturelle » a permis aux sociétés humaines de développer des modèles sociaux et culturels compatibles avec leur environnement (voir les travaux passionnants de François Rodier sur ce genre d’analogie). Ainsi, notre modèle culturel se serait adapté à la conquête et le peuplement de nouveaux espaces et a développé un ensemble de mœurs et de règles favorisant la croissance démographique. Une manière plus inquiétante de voir les choses serait d’expliquer ce besoin de conquête et de peuplement de nouveaux espaces comme solution à une croissance démographique incontrôlable. Certains exemples historiques (comme la colonisation de l’Australie par la Grande Bretagne) sont là pour étayer cette hypothèse. Pourtant, il ne faudrait pas croire ici que c’est dans la nature intrinsèque de l’homme de bâtir des sociétés basées sur une croissance démographique illimitée. Comme décrit plus bas, certaines sociétés ont su existé sur d’autres modèles. Seulement, c’est la société occidentale (basée elle sur une croissance démographique illimitée) qui s’est imposée au reste du monde. On pourrait trouver un tas de raisons pour expliquer cela (pour les plus intéressés, lire le passionnant : De l’inégalités parmi les sociétés, Jared Diamond, 1997). Nul doute que la croissance démographique a permis de stimuler la compétition et l’innovation qui ont permis (entre autres facteurs) à la société occidentale de s’imposer dans le monde entier. Remettre en cause la croissance démographique signifierait donc un profond changement culturel au regard de l’Histoire et une certaine remise en cause du succès du modèle de société occidentale.

D’un point de vue économique, la croissance démographique trouve son sens dans le fonctionnement de notre système économique basé principalement sur l’endettement. Dans la plupart des pays développés une bonne partie du travail sert aujourd’hui à rembourser la dette initiale (et ses intérêts) qui a financé l’investissement permettant de créer ce travail. Ainsi, si on réduit la population, on augmente la quantité de dette par habitant et de facto la quantité par personne de travail à fournir pour rembourser cette dette. A temps de travail égal, on diminue alors la part de travail destinée à produire des biens et services réels. Malheureusement, comme la dette initiale a généré des intérêts, la somme à rembourser est plus grande que la somme de départ. Ce petit détail entraîne qu’une simple stabilisation de la population aura les mêmes conséquences en matière de travail et de perte de productivité « réelle » : La population reste égale alors que la dette  augmente, il y a donc mathématiquement plus de dette par habitant. En fait tout se passe comme si la croissance démographique servait à compenser les intérêts de la dette. Remettre en question la croissance démographique signifieraient donc remettre en question notre modèle économique et trouver d’autres moyens, mis à part la dette, de faire fonctionner l’économie.

dette

Enfin, d’un point de vue social, la croissance démographique semble s’inscrire dans une volonté naturelle de chaque être humain à procréer et transmettre à sa progéniture un héritage et une éducation. Remettre en cause la croissance démographique, c’est donc remettre en question le modèle social du couple avec enfant pourtant si ancré dans les mœurs de notre société. Avoir des enfants, c’est également s’assurer que quelqu’un sera là pour veiller sur soi pendant ses vieux jours. Encore aujourd’hui dans de nombreux pays en voie de développement, avoir de nombreux enfants permet de dégager de nouveaux revenus issus du travail de ceux-ci. Dans les pays développés, une croissance démographique forte est un bon indicateur économique et un symbole de société prospère et confiante en l’avenir. Dans le modèle social Français, la croissance démographique est nécessaire parce que les jeunes travaillent pour dégager une part de leurs revenus au paiement des retraites des générations précédentes (qui ont déjà fait leurs parts). On touche là une des raisons des tabous politiques autour de la croissance démographique : les individus qui constituent aujourd’hui la génération au pouvoir ont contribué à ce modèle social pendant la majorité de leur vie. Il serait difficile pour eux de remettre en question ce modèle la veille du jour où ils vont commencer à profiter de ses avantages après en avoir payé les inconvénients pendant tant d’années. Remettre en question la croissance démographique c’est donc également s’attaquer à notre modèle social et politique. (Sur ce point, vu l’état actuel de la situation, ça nous ferait pas de mal…)

Dans l’histoire pourtant certaines sociétés sous contraintes environnementales fortes ont fait le choix de remettre en cause ce paradigme de croissance démographique. Pour éviter la déforestation de leur îles (où le concept de monde fini prend tout son sens), certains peuples du pacifique avaient avaient recours, par ordre de réjouissance, au célibat, à la castration et à l’assassinat des enfants dès la naissance (Source : Effondrement, Jared Diamond, 2009). Moins radical et plus connu, la République Populaire de Chine a mis en place de 1979 à 2015 une politique de l’enfant unique pour permettre une meilleure allocation des ressources du pays à chacun de ses habitants. Ce faisant, la Chine a connu le plus rapide développement du niveau de vie par habitant de notre Histoire moderne prouvant que remettre en cause la croissance démographique n’était pas complètement économiquement infaisable. Il est intéressant de noter que depuis l’abandon de cette politique en 2015, les naissances ne sont pas pour autant reparties à la hausse car le coût pour élever un enfant en Chine est très élevé. L’exemple chinois nous éclaire également sur les difficultés sociales engendrées par ce genre de politique éloignées de nos habitudes sociales et culturelles historiques : trafic d’êtres humains, enfants cachés et abandonnés, déséquilibres garçons/filles, avortements ou stérilisations forcés se sont largement développés entre 1979 et 2015. La fin de cette politique va permettre à 13 millions d’enfants chinois, non reconnus par leurs parents ou par la nation (appelés « enfants noirs »), d’avoir accès à des papiers et aux services de base (hospitalisation, éducation…).

la-chine-met-fin-a-la-politique-de-lenfant-unique.jpg
Arrêtée en 205, la politique de l’enfant unique en Chine a permis d’élever le niveau de vie par habitant

De nos jours, de nombreux tabous entourent la question de la croissance démographique. Malheureusement, l’Histoire ne nous est pas d’une grande aide puisque la situation actuelle est inédite (à l’exception de quelques micro sociétés ayant existé). L’Humanité fait face à d’importantes contraintes environnementales incompatibles avec une croissance démographique illimitée. Pour la première fois de son histoire, la conquête de nouveaux territoires n’est pas une solution envisageable à court terme (en grande partie à cause des limites énergétiques de la conquête spatiale). Dans les pays développés, il est devenu très difficile de réduire les taux de consommation par habitant alors que ceux-ci sont déjà la source de problèmes inquiétants décrits dans ces quelques pages de blog (50% des émissions de gaz à effet de serres sont issues du mode de vie de 10% des plus riches, Piketty & Chancel, 2015). Dans les pays en voie de développement, des milliards d’individus aspirent au confort occidental. Qui pourrait les en blamer ? La table du buffet n’est pour autant pas complètement vide et permettrait à de nombreux individus de diner dans le calme et la bonne humeur à condition que les plus gloutons mangent un peu moins et que la liste d’invités n’explose pas. Pourtant  l’Humanité semble pour l’instant complètement aveugle à l’idée de s’interroger sur les limites d’une croissance démographique illimitée.

World Population Growth to 2050.JPG

Publicité

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s